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Cette fois, nous eûmes achevé tôt notre course ; au bout de quelques heures nous vîmes, dans une vallée paisible, unie, peu étendue, dont une pente rocheuse se reflétait dans les ondes caressantes d’un lac limpide ; des maisons bien bâties, autour desquelles un sol meilleur, soigneusement cultivé, favorisait, dans sa position abritée, quelques travaux de jardinage. Introduit dans la maison principale par le marchand, et présenté à Mme Susanne, je sentis quelque chose de tout particulier, quand elle nous adressa la parole avec grâce, et nous dit qu’elle était charmée que nous fussions venus un vendredi, le jour de la semaine le moins occupé, parce que les marchandises prêtes à livrer étaient expédiées le jeudi soir, par le lac, dans la ville voisine ; et là-dessus le marchand lui ayant dit :

« Et sans doute c’est toujours Daniel qui est chargé du transport ?

— Oui, répondit-elle, et il remplit sa commission aussi bien, aussi" fidèlement que si c’était son affaire propre.

— La différence n’est pas si grande, » répliqua le marchand.

Puis, après s’être chargé de quelques commissions pour la gracieuse hôtesse, il partit à la hâte pour vaquer à ses affaires dans quelques vallées latérales, promettant de revenir me chercher dans quelques jours.

Cependant j’éprouvais un sentiment indéfinissable. Dès mon entrée dans la maison, un pressentiment m’avait dit que j’étais en présence de la femme que j’avais tant souhaitée ; quand je l’observai plus à loisir, ce n’était plus elle, ce ne pouvait l’être ; et pourtant, si je détournais les yeux, ou si elle tournait la tête, je la retrouvais encore : absolument comme, dans un songe, la mémoire et l’imagination se combattent l’une l’autre.

Quelques fileuses, qui avaient tardé à livrer leur travail de la semaine, vinrent l’apporter. La maîtresse, après les avoir doucement exhortées à la diligence, marchandait avec elles ; mais, pour s’entretenir avec son hôte, elle remit la chose à deux jeunes tilles, qu’elle appela Marguerite et Lise, et que j’observai avec d’autant plus d’attention, que je voulais chercher à découvrir si elles s’accordaient avec la description du rhabilleur. Ces deux figures me troublaient tout à fait, et achevaient de dé-