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La princesse Sophronie fut élevée à la cour du prince, en qualité de pupille ; elle était le dernier rejeton de sa race, et ses biens et ses prétentions étaient encore assez considérables, quoique la souveraineté fût échue à son oncle : aussi, pour éviter de longs démêlés, on désirait la marier au prince héréditaire, qui était cependant beaucoup plus jeune.

On soupçonna Odoardo d’un penchant secret pour la princesse ; on trouva qu’il l’avait célébrée trop passionnément, sous le nom d’Aurore, dans un poëme de sa composition ; de son côté, la princesse montra quelque imprudence : avec la fermeté naturelle de son caractère, elle avait répondu fièrement à certaines railleries de ses compagnes, qu’il faudrait être aveugle pour ne pas remarquer un pareil mérite.

Le mariage d’Odoardo fit taire, il est vrai, ces soupçons, mais de secrets ennemis les nourrissaient en silence, et ils n’attendaient qu’une occasion pour les faire revivre.

On évitait, autant que possible, de revenir sur les droits de la princesse ; cependant ils furent quelquefois débattus. Le prince et les plus sages conseillers estimaient que le mieux était toujours de laisser dormir cette affaire, tandis que les partisans secrets de Sophronie désiraient la voir terminée, et, par ce moyen, la princesse rendue à une plus grande liberté, avant que la mort eût enlevé le vieux roi voisin, parent et protecteur de Sophronie, qui s’était montré disposé à lui prêter, dans l’occasion, son appui paternel.

Odoardo, qu’on avait chargé d’une mission de pure cérémonie auprès du roi, fut soupçonné d’avoir réveillé l’affaire, que l’on voulait assoupir. Ses ennemis s’emparèrent de cet incident, et son beau-père, qu’il avait convaincu de son innocence, eut besoin de tout son crédit pour lui faiie obtenir une sorte de lieutenance dans une province éloignée. 11 s’y trouvait heureux ; il pouvait déployer toute son activité ; il trouvait à faire des choses utiles, nécessaires, bonnes, grandes et belles ; il pouvait accomplir des œuvres durables, sans se sacrifier lui-même, tandis qu’à la cour, en s’occupant, contre sa propre conviction, d’intérêts passagers, on peut courir soi-même à sa perte.

Sa femme ne prit pas la chose comme lui ; elle ne pouvait vivre que dans le grand monde, et ne suivit son mari dans son