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je retombai dans ma douleur ; je me représentais chaque circonstance, pour l’aggraver ou l’adoucir ; je me condamnais moimême, et cherchais à me remettre, à me calmer ; tout pourrait s’arranger le lendemain ; je me figurais déjà les choses revenues au train ordinaire ; puis le dépit éclatait de nouveau avec une force indomptable : je n’aurais jamais cru qu’il fût possible d’être aussi malheureux. »

Déjà sans doute nos lecteurs s’intéressent à l’homme excellent que nous voyons si vivement ému d’un incident frivole en apparence, et ils désirent apprendre à le connaître plus particulièrement : nous profiterons pour cela de la pause qui se fait dans cette nocturne aventure, tandis que notre héros, silencieux et troublé, se promène de long en large dans la chambre.

Odoardo était le rejeton d’une ancienne famille, et une suite de générations lui avait transmis en héritage les plus nobles qualités. Élevé dans une école militaire, il y avait pris une tenue élégante, qui, s’unissant aux plus belles qualités de l’esprit, donnait à ses manières un charme particulier. Un emploi qu’il exerça quelque temps à la cour lui apprit à connaître fort bien les relations extérieures d’augustes personnages ; et, par une faveur qu’il eut bientôt gagnée, attaché à une mission diplomatique, où il eut l’occasion de voir le monde et d’apprendre à connaître les cours étrangères, il fit paraître en toutes choses lavlucidité de son esprit, la sûreté de sa mémoire, mais surtout il ne tarda pas à montrer un zèle remarquable dans les entreprises de tout genre. La connaissance des langues étrangères, qu’il parlait avec facilité, ses manières franches, sans importunité, l’élevèrent par degrés ; il fut heureux dans toutes ses missions diplomatiques, parce qu’il captivait la bienveillance, et par là s’assurait les moyens d’apaiser les différends ; il savait surtout satisfaire les intérêts opposés, par une juste appréciation des droits de chacun.

Le premier ministre voulut s’attacher un homme si distingué : il lui fit épouser sa fille, qui était d’une beauté ravissante, avec tous les dons qui font le charme de la société. Mais comme le courant des félicités humaines rencontre tôt ou tard une digue qui lui résiste et le refoule, il en fut de même en cette occasion.