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à point. L’ennui commençait à rendre les enfants mutins, et, par impatience, ils devinrent insupportables. Le père se contenait ; cependant sa tranquillité accoutumée était près de l’abandonner. Il prêtait avidement l’oreille au bruit des voitures ; quelquesunes roulaient devant la maison sans s’arrêter ; un certain dépit allait le saisir. Pour passer le temps, il demanda aux enfants une nouvelle répétition ; mais, inattentifs, dans leur ennui, distraits et maussades, ils disaient tout de travers ; les gestes n’avaient plus aucune justesse ; ils exagéraient, à la manière des comédiens qui ne sentent-rien. L’angoisse du pauvre homme croissait à chaque moment ; il était plus de dix heures et demie : laissons-le nous dire le reste lui-même.

« L’horloge sonna onze heures ; mon impatience était montée jusqu’au désespoir ; je n’espérais plus, je craignais : j’appréhendais de la voir entrer, de l’entendre s’excuser légèrement, avec sa grâce accoutumée ; assurer qu’elle était très-fatiguée, et, par toutes ses façons, me reprocher de gêner ses plaisirs. J’étais dans un trouble affreux ; mille choses, que j’avais souffertes depuis des années, me revenaient à l’esprit pour m’accabler. Je commençais à la haïr et je ne savais plus comment je devrais l’accueillir. Mes pauvres enfants, parés comme de petits anges, dormaient paisiblement sur le sofa. Le parquet me brûlait sous les pieds ; j’étais troublé, je n’étais plus à moi, et il ne me restait plus qu’à fuir, pour laisser du moins passer les premiers moments. Je courus, dans mes légers habits de fête, à la porte de la maison ; je ne sais quelle excuse je balbutiai à la bonne vieille ; elle me jeta un manteau sur les épaules, et je me trouvai au milieu de la rue, dans un état que je n’avais pas senti depuis longtemps. Comme un jeune étourdi, que la passion a mis hors de lui-même, je courais les rues au hasard. J’aurais gagné la oleine camuagne, mais un vent humide et froid me soufflait assez rudement au visage pour modérer mon dépit. »

On ne peut manquer d’observer ici que, nous arrogeant les droits du poète épique, nous avons entraîné, trop rapidement peut-être, le lecteur bénévole au milieu d’une scène passionnée. Nous voyons un homme considérable, troublé par un chagrin domestique, sans avoir appris rien de plus sur son compte : aussi, pour le moment, afin d’éclaircir un peu la situation, nous