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pas un d’eux, ils me décernèrent le titre honorable de grand farceur, et principalement parce que mes plaisanteries, pour être plus rares, n’en étaient que plus fortes, comme je vais en donner la preuve.

Nous avions atteint, dans nos courses vagabondes, un agréable viflage de montagne, qui, dans sa situation écartée, avait, par privilége, une maison de poste et, parmi ses habitants, deux jolies jeunes filles, ornement de ce lieu solitaire. On voulut s’y reposer, y passer le temps, faire l’amour, vivre quelques jours à meilleur marché, et, en conséquence, dissiper plus d’argent.

On sortait de table ; quelques-uns se sentaient animés et les autres abattus ; les uns étaient gisants et cuvaient leur vin, les autres en auraient volontiers dissipé les fumées dans quelque joyeuse escapade. Nous avions, dans une aile du bâtiment, deux grandes chambres sur la cour. Un bel équipage à quatre chevaux, arrivant à grand fracas, nous attira aux fenêtres. Les domestiques s’élancèrent du siége, pour ouvrir la portière à un monsieur de belle et noble apparence, qui, malgré les années, marchait encore d’un pas assez ferme. Son grand nez bien fait me frappa d’abord, et je ne sais quel mauvais génie m’inspira sur-le-champ l’idée la plus folle, et l’audace de l’exécuter aussitôt, sans plus de réflexion.

  • Que pensez-vous de ce monsieur ? demandai-je à la compagnie.

— A le voir, répondit quelqu’un, il ne ferait pas bon se jouer à lui.

— Oui, oui, dit un autre, il a tout l’air d’un imposant Neme-touchez-pas !

— Et pourtant, répliquai-je hardiment, je gage de le tirer par le bout du nez, sans qu’il m’en arrive aucun mal ; même je prétends me mettre par là dans ses bonnes grâces.

— Si tu fais cela, dit Raufbold, chacun de nous te donne un louis d’or.

— Encaissez l’argent pour moi, m’écriai-je, je m’en remets à vous.

— J’aimerais mieux, dit le petit jeune homme, arracher à un lion un poil de sa moustache.