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lais, le roi s’avança avec son plus proche entourage. Sa tendre fille courut à lui, et m’entraîna sur ses pas. Nous tombâmes à ses pieds ; il me releva très-gracieusement, et, quand je me vis debout devant lui, je remarquai d’abord que, parmi ce petit peuple, j’avais encore la taille la plus considérable. Nous entrâmes ensemble dans le palais, où le roi, en présence de toute sa .cour, me souhaita la bienvenue dans un discours soigneusement travaillé, où il exprima sa surprise de nous trouver là, me déclara son gendre, et fixa le mariage au lendemain.

Je fus saisi de terreur, lorsque j’entendis parler de mariage, car, jusque-là, cette idée m’avait inspiré plus d’éloignement peut-être que la musique elle-même, qui me semblait d’ailleurs la chose la plus odieuse du monde. Ceux qui font de la musique, disais-je quelquefois, se figurent du moins qu’ils sont d’accord entre eux, et qu’ils agissent avec harmonie ; lorsqu’ils ont assez longtemps accordé leurs instruments, et nous ont déchiré les oreilles par mille dissonances, ils croient fermement que tout ira bien, et qu’un instrument sera d’accord avec l’autre ; le chef d’orchestre lui-même partage cette heureuse illusion, et l’on commence joyeusement un tintamarre dont nous avons, nous autres, les oreilles déchirées. Dans le mariage, il n’en va pas même’ ainsi : en effet, bien que ce soit un simple duo, et qu’il soit permis de supposer que deux voix, et même deux instruments, peuvent toujours s’accorder jusqu’à un certain point, cependant la chose arrive rarement : car, si le mari donne le ton, la femme le prend tout de suite un peu plus haut, et le mari plus haut à son tour ; si bien qu’ils passent du ton ordinaire à celui de la musique d’église, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’enfin les instruments à vent eux-mêmes ne peuvent plus les suivre. Et moi, qui ne peux souffrir la musique harmonieuse, je suis bien plus excusable encore de trouver la discordant insupportable.

Je ne veux et ne puis rien vous dire de toutes les fêtes au milieu desquelles le jour se passa, car j’y fis peu d’attention ; les mets exquis, les vins excellents, m’étaient insipides : je rêvais et réfléchissais à ce que j’avais à faire. Mais je n’avais pas besoin de longues méditations. Je résolus de m’esquiver tout uniment, dès qu’il ferait nuit, et de me cacher quelque part.