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Un soir, comme j’entrais dans l’auberge de la poste d’une petite ville, et me préparais à suivre mes habitudes, une belle voiture à deux places, attelée de quatre chevaux, s’arrêta bruyamment devant la porte. Je me retournai, et vis une dame seule, sans femme de chambre, sans domestiques. Je courus lui ouvrir la portière, et lui demander si elle avait quelques ordres à me donner. En descendant de voiture, elle fit paraître une taille élégante ; à l’observer de près, on lui trouvait le visage gracieux, avec une légère expression de mélancolie, qui lui donnait plus de charme. Je lui demandai de nouveau si je pou ? vais l’obliger en quelque chose.

« Oui, monsieur, me dit-elle : veuillez prendre avec précaution la cassette qui est sur le banc et la porter là-haut ; mais je vous prie de la tenir soigneusement d’aplomb, sans lui donner la moindre secousse. »

Je pris soigneusement la cassette ; la dame ferma la portière ; nous montâmes ensemble les degrés ; elle dit aux domestiques qu’elle coucherait.

Nous étions seuls dans sa chambre. Elle me dit de poser la cassette sur une table appuyée contre la cloison, et, comme je remarquai, à ses mouvements, qu’elle désirait être seule, je pris congé d’elle, en lui baisant respectueusement, mais vivement, la main.

« Commandez le souper pour nous deux, » me dit-elle aussitôt.

On juge avec quel plaisir je m’acquittai de la commission. Dans mon orgueil, je regardais à peine par-dessus l’épaule l’hôtesse et les domestiques. J’attendais avec impatience le moment qui devait enfin me ramener auprès de la voyageuse. On servit ; nous nous plaçâmes vis-a-vis l’un de l’autre. Pour la première fois, depuis fort longtemps, je me repaissais tout ensemble d’un bon souper et d’une vue charmante. La dame me paraissait à chaque instant plus jolie.

Sa conversation était agréable, mais elle évitait avec soin tout ce qui avait rapport au sentiment et à l’amour. On avait desservi, j’hésitais, j’essayais de toutes les ruses pour me rapprocher d’elle, mais inutilement : elle me tenait à distance par une certaine dignité à laquelle je ne résistais pas, et je dus, malgré moi, prendre congé d’elle assez tôt.