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marchands, le transport de celles qui leur appartenaient. J’entrai avec lui en conversation, et j’appris que ce coton venait de Chypre et de Macédoine par Trieste, et que, du pied de la montagne, il était transporté sur ces hauteurs par des mulets et des chevaux de somme, jusqu’au delà des monts, où un nombre infini de fileurs et de tisserands, répandus dans les vallées et les gorges, préparaient pour l’étranger des étoffes de grand débit. Pour la commodité du chargement, les balles étaient de cent cinquante à trois cents livres. Celles-ci formaient la charge entière d’une béte de somme. L’homme vanta la qualité de la marchandise qui arrivait par cette voie. 11 la compara avec le coton des Indes orientales et occidentales ; particulièrement avec celui de Cayenne, comme étant le plus connu. Il paraissait très-bien instruit de son affaire, et, comme je n’y étais pas entièrement étranger, la conversation devint utile et intéressante. Cependant tout le convoi avait passé devant nous, et je ne pouvais regarder sans humeur la file immense de ces bêtes chargées, derrière lesquelles il faudrait se traîner dans le sentier qui serpentait sur les hauteurs, et où l’on devait être grillé par le soleil entre les rochers. Comme j’en faisais des plaintes à mon messager, un homme joyeux et robuste survint, portant, sur des crochets assez grands, un fardeau qui semblait relativement léger. Nous nous saluâmes, et je vis bientôt, à la manière dont sa main vigoureuse secoua celle de Saint-Christophe, que ces deux hommes se connaissaient. Voici ce que j’appris alors sur son compte.

Dans les parties les plus reculées de la montagne, trop éloignées des marchés pour que chaque travailleur puisse s’y rendre, on connaît une sorte de marchands en sous-ordre ou collecteurs, qui sont nommés porte-fil 1. Ces gens parcourent toutes les vallées et tous les lieux écartés, vont de maison en maison, portent aux fileurs le coton en petite quantité, prennent en échange du fil ou l’achètent, de quelque qualité qu’il soit, et le revendent en gros, avec quelque profit, aux fabricants établis plus bas.


1. Carntraegvr. Nous avons évité, dans le récit, l’emploi de cette qualification. Celle de marchand se justifie par le genre de l’industrie de l’homme, et nous a paru suffisante.