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« — Puis-je lui parler encore une fois ? demandai-je.

« — Impossible, » répondit Mme  Élisabeth, et nous nous séparâmes.

« Je fus bientôt chez nous. Ma mère fut prête, le soir même, à descendre, pour venir au secours de la jeune étrangère. Je descendis dans la plaine, espérant trouver chez le bailli les nouvelles les plus sûres. Mais, lui-même, il ne savait rien encore, et, comme il me connaissait, il m’invita à passer la nuit dans sa maison. Cette nuit fut pour moi d’une longueur infinie ; j’avais toujours devant les yeux la belle étrangère, comme elle se balançait sur la monture, et abaissait vers moi de doux et tristes regards. À chaque instant, j’espérais recevoir des nouvelles. Je souhaitais sincèrement que ce bon mari fût vivant, et pourtant je me la figurais volontiers comme veuve. Les troupes chargées de courir le pays revinrent peu à peu, et, après divers bruits contradictoires, il fut enfin constaté que la voiture était sauvée, mais que l’infortuné mari était mort de ses blessures dans le village voisin. J’appris aussi que, selon notre convention, quelques hommes étaient allés annoncer la triste nouvelle à Mme  Élisabeth. Je n’avais donc plus rien à lui mander, rien à faire chez elle, et pourtant une extrême impatience, un invincible désir, me ramena par monts et vaux devant sa porte. Il faisait nuit, la maison était fermée ; je vis de la lumière dans les chambres ; je vis des ombres se mouvoir derrière les rideaux, et je restai de la sorte assis sur un banc, toujours sur le point de frapper à la porte, et toujours arrêté par diverses réflexions.

« Mais pourquoi vous raconté-je avec détail ce qui n’a proprement aucun intérêt ? Bref, le lendemain même, on ne me reçut pas dans la maison. On savait la triste nouvelle ; on n’avait plus besoin de moi : on m’envoya chez mon père, à mon travail ; on ne répondait pas à mes questions : on voulait se débarrasser de moi.

« C’est ainsi que je fus traité pendant huit jours : enfin Mme  Élisabeth m’appela.

« Entrez doucement, mon ami, me dit-elle, mais approchez sans crainte. »

« Elle me conduisit dans une jolie chambre, où je vis, dans le coin, derrière les rideaux entr’ouverts, ma belle, assise sur son