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pulsion universelle, la joie, la sagesse, la suivent. Que l’amour inspire tes efforts, et que l’action soit ta vie ! »

A peine ce duo, accompagné doucement d’un chœur, qui modérait ses voix, approchait-il de la tin, que deux autres chanteurs, placés vis - à - vis, se levèrent brusquement, et poursuivirent, ou plutôt transformèrent le chant avec une grave véhémence, et, à la grande surprise- du voyageur, firent entendre ces paroles :

« Car les liens sont brisés ; la confiance est ébranlée. Puis-je dire, puis-je savoir, à quels hasards exposé, je dois partir, je dois marcher, comme la triste veuve ; et, tantôt avec l’un, tantôt avec l’autre, voyager, voyager sans cesse ? »

Le chœur, qui reprit cette strophe, devint toujours plus nombreux, toujours plus éclatant, et pourtant on put bientôt distinguer la voix de Saint-Christophe, assis au bas de la table. A la fin, la tristesse alla croissant, d’une manière presque effrayante ; une ardeur sombre donnait à tout l’ensemble, grâce au talent des chanteurs, le caractère d’une fugue, tellement que notre ami se sentait tressaillir. Ils semblaient tous réellement pénétrés du même sentiment, et déplorer chacun leur propre sort, en présence d’une séparation prochaine. Les plus capricieuses reprises, les fréquents retours d’un chant presque épuisé, parurent enfin dangereux à l’Union elle-même ; Lénardo se leva : aussitôt tous les convives s’assirent et l’hymne cessa.

Lénardo fit entendre ces paroles affectueuses :

« Je ne puis assurément vous blâmer de vous représenter sans cesse le sort qui nous est à tous réservé, afin d’y être préparés à toute heure. Si des vieillards, lassés de vivre, ont crié à leurs frères : Songe à mourir ! nous autres jeunes gens, pleins de vie, nous pouvons bien nous encourager et nous avertir constamment les uns les autres par ces joyeuses paroles : Songe à voyager ! Mais il est convenable de nous rappeler avec mesure et gaieté ce que nous entreprendrons volontairement ou ce que nous croirons être obligés de faire. Vous savez parfaitement ce qui est permanent au milieu de nous et ce qui est variable : faites-nous en jouir aussi, avec des accents qui inspirent la joie et le courage, et que le verre de l’adieu se boive dans cette espérance !