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cri, et l’expression d’une douce bienveillance se répandit sur son visage, quand elle me vit sain et sauf devant elle.

« Vous dirai-je toutes les attentions par lesquelles je cherchais à lui être agréable, à la distraire en chemin ? Et comment le pourrais-je ? Le propre des véritables attentions est de faire, dans le moment, tout de rien. Dans ma pensée, les fleurs que je cueillais pour elle, les objets lointains que je lui montrais, les montagnes, les bois, que je lui nommais, étaient autant de précieux trésors dont je voulais la mettre en possession, pour me trouver en rapport avec elle, comme on cherche à le faire par les cadeaux.

Déjà elle m’avait enchaîné pour la vie, lorsque nous arrivâmes devant la porte de Mme  Élisabeth, et que je me vis au moment d’une séparation douloureuse. Mes regards se promenèrent encore une fois sur cette beauté, et, quand ils furent descendus à ses pieds, je me baissai, comme si j’avais eu quelque chose à réparer à la sangle de mon âne, et je baisai le plus joli soulier que j’eusse vu de ma vie, mais sans qu’elle s’en aperçût. Je l’aidai à descendre, je montai l’escalier en courant, et je criai à travers la porte :

« Madame Élisabeth, voici une visite. »

« La bonne femme sortit, et je regardai, par-dessus ses épaules, du côté de la rue : je vis la belle inconnue monter les degrés avec une tristesse touchante, une dignité secrète dans sa douleur ; puis elle embrassa ma respectable amie, et se laissa conduire par elle dans la meilleure chambre. Elles s’enfermèrent, et je me trouvai, près de mon âne, devant la porte, pareil à un homme qui a déchargé de précieuses marchandises, et redevient un pauvre voiturier comme auparavant.

Le Lis.

Je balançais encore à m’éloigner, car j’étais indécis sur ce que je devais faire, quand Mme  Élisabeth reparut sur le seuil de la porte, et me pria de faire venir ma mère, puis de courir le pays, et de rapporter des nouvelles du mari s’il était possible.

« Marie vous en fait prier instamment, ajouta-t-elle.