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silence, et il s’acquitta de sa tâche, d’une main fort légère, sans articuler un mot. Wilhelm commença donc et lui dit :

« Vous êtes passé maître dans votre art, et je ne crois pas avoir jamais senti sur mes joues un rasoir plus doux : mais il paraît que vous observez aussi ponctuellement les lois de la société. »

Il sourit avec malice, en se posant le doigt sur la bouche, et se retira sans mot dire.

« En vérité, lui cria Wilhelm, vous êtes le Manteau rouge *, ou du moins un de ses descendants. Je vous félicite de ne pas m’avoir demandé la pareille : vous vous en seriez mal trouvé. »

A peine cet homme bizarre se fut-il retiré, que l’administrateur survint, et l’invita à dîner, en des termes qui lui semblèrentaussi passablement étranges. « L’Union, dit expressément l’administrafeur, souhaite la bienvenue à l’étranger ; elle l’invite à dîner, et se flatte de pouvoir entrer en relations plus intimes avec lui. » L’administrateur s’informa d’ailleurs de la santé de son hôte, et lui demanda s’il était satisfait de l’hospitalité qu’il avait reçue. Wilhelm ne put que témoigner sa complète satisfaction. 11 aurait bien voulu demander au chef, comme tout à l’heure au silencieux barbier, ce que c’était que ce bruit épouvantable, qui l’avait, sinon alarmé, du moins inquiété pendant la nuit ; mais, se souvenant de sa promesse, il s’abstint de toute question, se flattant que, sans se rendre importun, il apprendrait, par hasard ou par la complaisance de la société, ce qu’il désirait-savoir.

Quand notre ami se trouva seul, il songea au singulier personnage qui le priait à dîner, et ne savait trop ce qu’il en devait croire. Annoncer un ou plusieurs chefs par un terme collectif lui paraissait par trop circonspect. Au reste il régnait autour de lui un tel silence, qu’il ne croyait pas avoir jamais vu un dimanche plus tranquille. 11 sortit de la maison, puis il entendit


1. Allusion à une légende populaire en Aflemagne et que Musseus a développée fort agréablement. Un comte revient, après sa mort, dans son château ; il fait la barbe aux gens assez hardis pour loger dans le vieux manoir, et il oblige ensuite ses Ilotes à le raser lui-même. La peur les rend maladroits, et il se fâche. parce qu’il doit revenir à la vie, quand il aura trouvé un barbier courageux, qui le rase sans le blesser ni le faire souffrir.