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son mari ; elle ne voulait pas s’éloigner de sa trace, et toutes mes représentations auraient peut-être échoué, si un détachement de notre milice, que le bruit de nouveaux attentats avait mis en mouvement, ne se fût avancé à travers le bois. J’informai ces gens de ce qui s’était passé ; nous prîmes ensemble les arrangements nécessaires ; nous convînmes d’un rendez-vous : c’était tout ce qu’on pouvait faire pour cette fois. Je cachai bien vite mes paniers dans une grotte voisine, qui m’avait déjà souvent servi d’entrepôt ; j’arrangeai mon bât en siége commode, et je portai, non sans éprouver une singulière sensation, le charmant fardeau sur mon docile coursier, qui sut aussitôt trouver de lui-même les sentiers accoutumés, ce qui me permit de marcher à côté de la jeune femme.

« Vous comprenez, sans que j’aie besoin de m’expliquer longuement, quels étranges sentiments agitaient mon cœur. Ce que j’avais cherché si longtemps, je l’avais réellement trouvé. Je croyais rêver, et, d’autres fois, me réveiller d’un songe. Cette figure céleste, que je voyais, pour ainsi dire, flotter dans l’air et se balancer le long des arbres verts, m’apparaissait comme une vision, que produisaient dans mon esprit les tableaux de la chapelle ; bientôt ces tableaux mêmes me semblaient n’avoir été que des songes, dont je voyais, à cette heure, l’admirable accomplissement. Je lui adressai diverses questions : elle me répondit avec douceur et complaisance, comme il sied à une personne affligée, qui sait se posséder. Quand nous arrivions sur une hauteur découverte, elle me priait souvent de nous arrêter, d’observer, d’écouter ; elle me priait avec tant de grâce ; sous ses longs cils noirs, son regard exprimait un si profond désir, que je ne pouvais balancer à faire tout ce qui était possible, jusqu’à grimper au sommet d’un grand pin isolé et sans branches. Jamais je ne m’étais livré plus volontiers à cet exercice de ma profession ; jamais, dans les fêtes et les foires, je n’avais rapporté avec plus de plaisir, de ces mâts de cocagne, rubans ou mouchoirs de soie. Cette fois, hélas ! je revins sans aucun trophée ; même là-haut, je ne vis et n’entendis rien. Enfin elle me cria de redescendre ; elle me fit, très-vivement, un geste de la main, et, comme enfin, me laissant couler à terre, je lâchai prise, en sautant d’une assez grande hauteur, elle poussa un