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Mais ce qui l’occupait surtout, c’étaient les secours et le concours qu’elle prêtait aux personnes qui recherchaient un emploi, un établissement, ce qui lui avait valu de nombreux clients, dont elle savait ensuite mettre à profit l’influence.

Veuve d’un fonctionnaire assez considérable, homme intègre et sévère, elle avait toutefois appris comme on séduit par des bagatelles ceux qu’on ne saurait gagner par des offres de conséquence.

Pour demeurer, sans de plus longs détours, dans le chemin où nous sommes entrés, ajoutons qu’elle avait su prendre une grande influence sur un homme qui occupait une place importante. 11 était avare comme elle, et, pour son malheur, tout aussi amateur de la bonne chère et des friandises. Aussi le premier soin de ma tante était-il de saisir tous les prétextes pour faire paraître sur la table du gourmand quelque mets savoureux. La conscience de l’homme n’était pas des plus délicates, mais il fallait aussi se faire des droits à son courage, à son audace, quand il s’agissait de vaincre, en des occasions difficiles, la résistance de ses collègues, et d’étouffer la voix du devoir, qu’ils lui opposaient.

Or il se trouvait que ma tante protégeait alors un sujet sans mérite ; elle avait fait tout son possible pour le faire parvenir ; la chose avait pris pour elle une tournure favorable, et les écrevisses, dont on avait vu rarement les pareilles, lui venaient tout à point : il s’agissait de les nourrir soigneusement, et de les faire peu à peu figurer sur la table du puissant patron, qui d’ordinaire mangeait seul et faisait très-pauvre chère.

Au reste on parla beaucoup de ce funeste accident, et la société en fut émue. Mon père était un des hommes de ce temps qu’un esprit de bienveillance générale avait portés des premiers à étendre leur attention et leurs soins au delà du cercle de leur famille et de leur ville natale. Il s’était efforcé, avec d’habiles médecins et des membres de l’administration, d’écarter les grands obstacles qui s’opposaient, dans les commencements, à l’inoculation de la petite vérole. L’amélioration des hôpitaux, l’adoucissement du sort des prisonniers, et tout ce qui avait rapport à ces choses, était l’objet de sa vie, ou du moins de ses lectures et de ses méditations ; et, comme il exprimait