Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/276

Cette page n’a pas encore été corrigée

après l’autre ; on les avait trouvés sans vie et on les rapportait.

Le pasteur et le père se rendirent en silence à la maison commune. La lune s’était levée ; elle éclairait le funèbre cortége. Je le suivis avec désespoir : on ne voulut pas me laisser entrer. J’étais dans le plus horrible état. Je tournais autour de la maison, sans pouvoir me calmer ; enfin je réussis à y pénétrer par une fenêtre.

Dans la grande salle, destinée aux assemblées de toute espèce, les infortunés étaient couchés sans habits sur la paille ; même à l’obscure clarté d’une lampe, ces corps paraissaient d’une blancheur éclatante. Je me jetai sur le plus grand : c’était mon ami. Je ne saurais dire’ce que j’éprouvais : je pleurais amèrement, et j’inondais sa large poitrine de mes larmes intarissables. J’avais ouï parler de frictions, qui devaient être salutaires dans les cas de ce genre : je frottai ce corps baigné de mes larmes, et la chaleur que je provoquais me fit illusion. Dans mon égarement, je voulais lui insuffler mon haleine : mais ses dents,comme deux rangées de perles, étaient fermement serrées ; les lèvres, sur lesquelles le baiser d’adieu semblait reposer encore, refusaient le plus léger signe de senfiment. N’espérant plus rien des forces humaines, je recourus à la prière ; j’invoquai, j’implorai l’assistance divine. Il me semblait que je dusse opérer un miracle en ce moment, évoquer l’âme encore enveloppée dans le corps, ou l’y rappeler du voisinage, où elle flottait encore.

On m’arracha de ce lieu. Toujours en pleurs et sanglotant, je m’assis dans la voiture, et j’entendis à peine ce que disaient mes parents. Notre mûre, comme je l’ai entendu répéter depuis bien souvent, s’était remise à la volonté de Dieu. Enfin je m’endormis, et, le lendemain, je m’éveillai fort tard ; j’étais sombre et dans un état de trouble indéfinissable.

Quand j’allai déjeuner, je trouvai ma mère, ma tante et la cuisinière occupées d’un important débat. On ne pouvait songer à cuire les écrevisscs et ;i les servir sur la table : mon père ne voulait pas souffrir un souvenir si direct du malheur qui venait d’arriver. Ma tante paraissait très-empressée à s’emparer de ces affreuses bêtes, et me grondaif en même temps d’avoir négligé d’apporter les primevères. Mais elle parut bientôt s’apaiser,