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dons bigarrés, avec des houppes et des glands entremêlés de petits morceaux de cuivre sonore, orna l’encolure du coursier aux longues oreilles, qui pouvait désormais se montrer à côté de son modèle peint sur la muraille. Nul ne songeait à se moquer de moi, quand je parcourais la contrée dans cet attirail, car on passe volontiers à la bienfaisance des dehors singuliers.

« La guerre, ou plutôt les suites qu’elle entraîne, s’étaient approchées de nos montagnes ; plusieurs fois des bandes redoutables de vagabonds s’étaient rassemblées, et s’étaient livrées, en divers lieux, à des violences, à des désordres. La bonne organisation de notre milice, des patrouilles et un peu de vigilance, réprimèrent bientôt le mal, mais on retomba trop vite dans la nonchalance, et, avant qu’on fût sur ses gardes, il se commit de nouveaux attentats.

« Notre contrée avait longtemps joui de la tranquillité, et je suivais paisiblement, avec mon âne, les sentiers accoutumés, lorsqu’un jour, traversant une clairière fraîchement ensemencée, je trouvai une femme assise, ou plutôt couchée, au bord du fossé qui longeait la haie : elle semblait endormie ou tombée en faiblesse. J’allai à son secours, et, lorsqu’elle ouvrit ses beaux yeux, et qu’elle se fut assise, elle s’écria :

« Où est-il ? L’avez-vous vu ?

« — Qui ?

« — Mon mari. »

« Chez une personne si jeune, cette réponse me surprit, mais je redoublai de zèle pour la secourir et l’assurer de ma pitié. J’appris que les deux voyageurs, voulant éviter la route raboteuse, s’étaient éloignés de leur voiture pour suivre un sentier de traverse. Non loin de là, ils avaient été assaillis par des gens armés ; le mari s’était écarté en combattant ; elle n’avait pu le suivre loin, étant tombée à cette place, sans savoir le temps qu’elle y avait passé. Elle me pria instamment de la quitter et de courir à la recherche de son mari. Alors elle se leva, et je vis devant mes yeux la plus belle et la plus aimable personne ; mais je pus remarquer aisément qu’elle était dans un état qui exigerait bientôt les secours de ma mère et de Mme  Élisabeth. Nous contestâmes un moment, car je désirais, avant tout, la mettre en sûreté ; elle voulait savoir d’abord ce qu’était devenu