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Bien que ce système parût fondé sur l’expérience, plusieurs n’en étaient pas satisfaits : il affirmaient que de vastes corps, déjà complétement formés dans le sein de la terre, avaient été lancés au dehors, à travers l’écorce du globe, au moyen de forces expansées irrésistibles, et que, dans ce tumulte, maintes parties s’étaient dispersées et brisées auprès et au loin ; ils s’appuyaient sur plusieurs faits, inexplicables sans cette supposition.

Un quatrième parti, qui peut-être ne comptait pas un grand nombre d’adhérents, riait de ces efforts inutiles, et affirmait que bien des états de la surface terrestre ne pourraient jamais être expliqués, si l’on n’admettait pas que des masses de montagnes, plus ou moins considérables, sont tombées de l’atmosphère et ont couvert de vastes contrées. Ils se fondaient sur les masses de rochers, grandes ou petites, qu’on a trouvées répandues en beaucoup de pays plats, et que, de nos jours encore, on recueille, comme tombées du ciel.

Enfin deux ou trois convives tranquilles invoquèrent une époque de froid horrible, et imaginèrent, du sommet des plus hautes montagnes, sur les glaciers, étendus bien avant dai« les pays plats, de véritables glissoires, préparées pour les masses de roches primitives, qu’ils voyaient, en esprit, dévaler au loin sur ces routes polies. L’époque du dégel étant arrivée, ces masses avaient du s’asseoir et rester à jamais fixées sur un sol étranger. Alors même, les glaces flottantes avaient rendu possible le transport d’énormes blocs de rochers venus du Nord. Ces bonnes gens ne purent toutefois faire accepter leurs idées un peu froides. On trouvait beaucoup plus naturel d’opérer la création du monde avec des craquements et des soulèvements énormes, un tumulte effroyable et des explosions enflammées. Au reste, comme la chaleur du vin agissait avec énergie, il s’en fallut peu que cette fête splendide ne finît par des scènes tragiques.

Notre ami sentait ses idées tout à fait troublées et confondues, s’élant, toute sa vie, représenté, dans sa paisible croyance, l’Esprit qui planait sur les eaux, et les flots élevés de quinze coudées au-dessus des plus hautes montagnes ; et, parmi ces étranges discours, son imagination croyait voir ce monde, si bien ordonné, si richement vêtu, si vivant, s’abîmer dans le chaos.