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mais on admirait l’exécution soignée : toutefois l’ensemble n’était pas conçu de la manière la plus avantageuse, ordonné avec l’expérience de l’artiste. Elle craint, semble-t-il, de profaner l’objet, si elle-ne lui reste pas complétement fidèle : de là une attention minutieuse, qui se perd dans les détails.

Mais elle sent désormais que le grand et libre talent, la main hardie de l’artiste, éveille, vivifie, ce qui sommeillait en elle de sentiment et de goût; elle s’aperçoit qu’elle n’a qu’à prendre courage, qu’à suivre, sérieusement et sans balancer, quelques règles principales, que l’artiste lui communique avec solidité, avec une insistance, une ardeur amicale. Elle trouve la sûreté du trait; peu à peu elle s’attache moins aux détails qu’à l’ensemble, et la plus heureuse aptitude se développe ainsi, à l’improviste, en un talent, comme un bouton de rose, auprès duquel nous avons passé le soir sans le remarquer, s’épanouit à nos yeux, le matin, au lever du soleil, en sorte que nous croyons voir le frémissement de vie qui porte au-devant de la lumière cet objet ravissant.

Ce développement esthétique ne pouvait manquer de produire une conséquence morale : car le sentiment tle la profonde reconnaissance que nous devons à quiconque nous communique une solide instruction, produit sur une âme pure une impression magique. C’était depuis longtemps le premier sentiment de joie qui se développait dans le cœur d’Hilarie. Contempler d’abord, pendant des jours entiers, la magnifique nature, et sentir tout à coup que l’on a reçu le don de la reproduire d’une manière plus complète!... Quelle joie de s’approcher, par le dessin et la couleur, de la beauté ineffable! Elle trouvait soudainement en elle une nouvelle jeunesse, et ne pouvait s’interdire une tendre inclination pour celui à qui elle était redevable de ce bonheur.

Lorsqu’ils étaient assis à côté l’un de l’autre, nul n’aurait pu distinguer si l’un montrait plus d’ardeur à enseigner les ressources de l’art que l’autre à les saisir et à les mettre en pratique. C’était la lutte la plus heureuse, et telle qu’on la voit rarement s’engager entre le maître et l’élève. Quelquefois l’artiste semblait vouloir tracer sur la feuille un trait décisif; mais elle, repoussant sa main avec douceur, se hâtait d’exécuter ce