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porter quelques secours, rendre quelques services ou prendre quelques soins, et je me formai facilement à ce pieux office.

« En général, la vie dans la montagne a quelque chose de plus humain que dans la plaine. Les habitants, séparés par les lieux, se touchent de plus près par le cœur ; les besoins sont peu nombreux, mais plus pressants. L’homme se repose plus sur lui-même ; il faut qu’il apprenne à se confier en ses mains et ses pieds ; ouvrier, guide, colporteur, il est tout à la fois : d’ailleurs chacun est plus lié avec son voisin, le rencontre plus souvent, et passe avec lui sa vie dans le même travail.

« Comme j’étais tout jeune encore, et que mes épaules ne pouvaient porter de lourds fardeaux, j’imaginai de mettre des paniers sur le dos d’un petit âne, et de le pousser devant moi, pour monter ou descendre les roides sentiers. Dans la montagne, l’âne n’est pas un animal aussi dédaigné que dans la plaine, où le valet qui laboure avec des chevaux se croit bien au-dessus de celui qui sillonne le champ avec des bœufs. Et je marchais derrière mon âne avec d’autant moins de scrupule, que j’avais observé de bonne heure dans la chapelle, que cet animal avait eu l’honneur de porter Dieu et sa mère. Cependant cette chapelle n’était pas alors dans l’état où elle se trouve aujourd’hui : on en faisait une remise et presque une écurie ; bois à brûler, perches, meubles, échelles et tonneaux, et cent autres objets, s’y trouvaient entassés pêle-mêle. Heureusement, les peintures étaient haut placées, et le lambris résista quelque peu. Mais, dès mon enfance, je me plaisais singulièrement à grimper çà et là sur le bois entassé, pour contempler les tableaux, que personne ne savait bien m’expliquer. Je sus pourtant que le saint dont ces images retraçaient la vie était mon parrain, et je le pris en amitié, comme s’il eût été mon oncle. Je grandis, et comme, suivant une clause particulière, celui qui voulait prétendre à l’emploi lucratif d’économe devait exercer un métier, il me fallut en apprendre un, selon le vœu de mes parents, qui désiraient que je pusse hériter un jour de ce bon emploi ; et, ce métier, je dus le choisir tel qu’il pût me rendre utile dans l’économat.

« Mon père était tonnelier, et faisait lui-même tous les ouvrages qui appartiennent à cet état, ce qui fut d’un grand avan-