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l’autre. Le major venait de perdre une dent incisive, et il craignait la perte d’une seconde. Réparer cette lacune par des moyens artificiels répugnait à ses principes, et, avec de pareilles brèches, prétendre à la main d’une jeune femme commençait à lui sembler tout à fait humiliant, surtout depuis qu’il se trouvait avec elle sous le même toit. Un peu plus tôt ou un peu plus tard, un pareil événement aurait eu peu d’influence ; mais cette disgrâce arrivait précisément dans les circonstances où elle doit être infiniment désagréable pour l’homme accoutumé à voir toute sa personne bien entière : il lui semble que la clef de voûte de son organisme physique soit enlevée, et que désormais le reste menace peu à peu de s’écrouler.

Quoi qu’il en soit, le major eut bientôt avec sa sœur de sages et lumineux entretiens sur l’affaire qui semblait si embrouillée. Ils furent obligés de reconnaître tous deux qu’ils n’avaient fait proprement qu’arriver par un détour au but dont ils s’étaient éloignés, écartés inconsidérément par une circonstance extérieure, par l’erreur d’une enfant sans expérience ; rien ne leur sembla plus naturel que de s’arrêter dans cette voie, de ménager l’union des deux enfants, et de leur vouer ensuite fidèlement, constamment, les soins paternels qu’ils avaient su se mettre en état de prendre pour eux. Parfaitement d’accord avec son frère, la baronne se rendit chez Hilarie. Elle était à son piano, elle chantait, et, souriant à sa mère, elle répondit à son salut par une inclination de tête, comme pour la prier d’écouter. C’était une agréable, une paisible romance, qui annonçait chez la chanteuse des dispositions aussi favorables qu’on pouvait les désirer.

Quand elle eut fini, elle se leva, et, avant que la prudente baronne eût entamé son discours, elle lui dit :

  • Bonne mère, c’est fort bien que nous ayons si longtemps gardé le silence sur l’affaire la plus importante ; je vous remercie de n’avoir pas touché cette corne jusqu’à présent : mais il est temps de s’expliquer, si cela vous plaît. Que pensez-vous de la chose ? »

La baronne, très-réjouie de trouver sa fille si calme et si paisible, commença aussitôt un sage exposé du temps passé, des qualités et des’ mérites de son frère ; elle trouva fort naturelle