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On revint, et l’on trouva la table mise dans la salle pieuse. Au bout se voyait un fauteuil, où la mère prit place ; auprès d’elle se trouvait une haute corbeille, où reposait le petit enfant ; le père s’assit à sa gauche, Wilhelm à sa droite. Les trois enfants occupèrent le bas de la table. Une vieille domestique servit un repas bien apprêté. La vaisselle et les vases à boire avaient aussi un cachet d’antiquité. Les enfants fournirent matière à la conversation, tandis que Wilhelm ne pouvait assez observer la figure et la contenance de sa sainte hôtesse.

Au sortir de table, la famille se dispersa : l’hôte conduisit Wilhelm à l’ombre, parmi les ruines, dans une place élevée, d’où l’on avait devant soi toute la perspective de l’agréable vallée, et d’où l’on voyait fuir, les unes derrière les autres, les collines inférieures, avec leurs pentes fertiles et leurs sommets boisés.

« Il est juste, dit l’hôte, que je satisfasse votre curiosité, d’autant plus que je devine en vous un homme en état de prendre au sérieux même l’extraordinaire, s’il repose sur un sérieux fondement. Ce monastère, dont vous voyez encore les restes, était consacré à la sainte Famille, et renommé jadis comme lieu de pèlerinage, à cause de plusieurs miracles. L’église était sous l’invocation de la Mère et du Fils ; elle est détruite depuis plusieurs siècles. : la chapelle, consacrée à saint Joseph, s’est conservée, ainsi que les bâtiments destinés à l’habitation. Les revenus sont perçus depuis fort longtemps par un prince séculier, qui loge ici son économe, et cet homme c’est moi, qui ai succédé, dans cette charge, à mon père, comme il avait succédé au sien.

« Saint Joseph, bien que tout service religieux ait cessé depuis longtemps dans ce monastère, s’est montré si bienfaisant envers notre famille, qu’on ne peut être surpris, si nous lui sommes particulièrement dévoués. De là vient qu’on m’a baptisé de son nom, ce qui a déterminé, en quelque sorte, ma carrière. Je grandissais, et, si j’accompagnais mon père quand il percevait les revenus, je m’associais aussi volontiers, et plus encore, à ma mère, qui aimait à faire des aumônes, selon ses facultés, et qui était connue et chérie, dans toutes nos montagnes, pour sa bonté et ses bienfaits. Elle m’envoyait, tantôt ici, tantôt là,