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Hilarie, lui jetant un regard étrange, s’écria :

« Le sang ! le sang !… c’est à elle qu’il appartient ! Elle n’en est pas digne ! L’infortuné ! l’infortuné ! »

A ces mots, un torrent de larmes amères. soulagea son cœur oppressé.

Qui essayerait de décrire les situations que la scène précédente avait développées, d’exposer les souffrances dont cette première entrevue fut la source pour la mère et la fille ? Elle fut aussi très-fâcheuse pour le malade : le médecin l’affirma du moins ; il vint assez souvent donner aux dames des nouvelles et des consolations, mais il se crut obligé de leur interdire toute nouvelle visite. Il les trouva d’ailleurs disposées à l’obéissance : la fille n’osait pas demander ce que la mère n’aurait pas accordé, et l’on se soumit-aux ordrœ du sage docteur. En récompense, il apporta la nouvelle tranquillisante que Flavio avait demandé une écritoire, qu’il avait en effet écrit quelque chose, mais qu’il avait aussitôt caché les feuilles sous son oreiller. Alors la curiosité vint se joindre à leur inquiétude et leur impatience. Ce furent de pénibles heures. Au bout de quelque temps, le docteur apporta une petite feuille, d’ûne écriture belle et facile, quoique tracée à la hâte. On y lisait les vers suivants :

« L’existence de l’homme est un prodige ; l’homme s’égare et se perd au sein des prodiges. Vers quelle porte sombre, que l’œil découvre à peine, s’avancent, en tâtonnant au hasard, ses pas incertains ?… Puis, au milieu d’une clarté céleste, vivante, je vois, je sens, la nuit, la mort et l’enfer. »

La noble poésie pouvait encore manifester ici son pouvoir salutaire’. Intimement unie à la musique, elle guérit parfaitement toutes les souffrances de l’âme, en les excitant, les évoquant avec puissance, pour les dissiper en secourables douleurs. Le médecin s’était persuadé que le jeune homme serait bientôt rétabli. Étant sain de corps, il retrouverait bientôt sa gaieté, si l’on pouvait faire disparaître ou apaiser la passion qui le dominait. Hilarie voulut répondre à Flavio. Elle s’assit devant le piano, et cherchait une mélodie pour les vers du malade. Elle ne réussit pas ; il n’y avait point d’écho dans son âme pour de si profondes douleurs ; mais, tandis qu’elle faisait cette tentative, la mesure et la rime s’insinuèrent si bien dans ses propres sentiments,