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neur au déjeuner, et ne remarqua point qu’on avait tout servi selon son goût, et comme il avait coutume d’en exprimer le désir.

Ce silence et cet embarras firent perdre à Hilarie presque toute sa gaieté. La baronne se sentit embarrassée, et mena sa fille au clavecin ; mais son jeu, plein de grâce et de sentiment, obtint à peine quelques éloges du major : il désirait voir s’éloigner au plus tôt la belle enfant et le déjeuner, et la baronne dut couper court à la situation, en proposant à son frère une promenade au jardin.

A peine furent-ils seuls, que le major répéta vivement sa première question, et sa sœur, après un moment de silence, lui dit en souriant :

  • Si tu veux trouver l’homme heureux qu’elle aime, tu n’as que faire d’aller loin ; il est tout près : c’est toi. »

Le major resta confondu, puis il s’écria :

« Ce serait une plaisanterie bien déplacée de vouloir me persuader une chose qui, sérieusement, me causerait autant d’embarras que de chagrin. En effet, bien qu’il me faille du temps pour revenir de ma surprise, je vois d’un coup d’ceil comme nos rapports seraient troublés par un événement si inattendu. La seule chose qui me rassure, c’est la persuasion où je suis que de pareilles inclinations ne sont qu’apparentes ; qu’elles cachent une illusion qu’on s’est faite, et qu’une âme bonne et pure revient promptement de ces méprises par elle-même, ou du moins avec quelque secours de personnes sensées.

— Je ne suis pas de cet avis, dit la baronne : car, d’après tous les symptômes, je crois très-sérieux le sentiment dont Hilarie est pénétrée.

— Je n’aurais jamais supposé qu’une personne si naturelle fût capable d’un sentiment si contraire à la nature.

— Pas si contraire ! dit la sœur. Je trouve moi-même, parmi mes souvenirs de jeunesse, une passion pour un homme plus âgé que toi. Tu as cinquante ans : ce n’est pas un trop grand âge pour un Allemand, si d’autres nations, plus vives, vieillissent peut-être plus vite.

— Mais sur quoi se fondent tes soupçons ?

— Ce ne sont point des soupçons ; c’est une certitude. Tu pourras t’en convaincre peu à peu. »