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d’auprès de toi, si nous n’avions formé le lien qui doit nous unir pour le temps et pour l’éternité ? Mais, sur tout cela, je dois me taire. Je me soumets à ce que ta tendresse ordonne : que, sur le sommet de ces montagnes, j’aie prononcé entre nous pour la dernière fois le mot de séparation. Ma vie doit être un pèlerinage. J’ai à remplir les rigoureux devoirs du pèlerin, à subir des épreuves extraordinaires. Je souris quelquefois, quand je passe en revue les conditions que notre association, que ma propre volonté, m’a imposées. J’observe les unes, je m’écarte des autres : mais, même dans ces écarts, les feuilles où se trouve le témoignage de ma dernière confession, de ma dernière absolution, me tiennent lieu de conscience, et je rentre dans la voie. Je m’observe, et mes fautes ne se précipitent plus les unes sur les autres comme les eaux de la montagne.

« Je t’avouerai toutefois que j’admire souvent ces instituteurs et ces guides du genre humain, qui n’imposent à leurs élèves que des devoirs extérieurs et mécaniques. Ils rendent leur tâche et la nôtre légère, car cette partie de mes obligations, qui me paraissait d’abord la plus pénible, la plus bizarre, est celle que j’observe avec le plus de facilité et de plaisir.

« Je ne dois pas rester plus de trois jours sous le même toit ; je ne dois quitter aucun gîte sans m’en éloigner au moins d’une lieue. Ces ordres sont assurément propres à faire de ma vie un pèlerinage, à empêcher que j’aie la moindre tentation de me fixer quelque part. Jusqu’à présent, je me suis soumis exactement à cette condition ; je n’ai pas profité même une fois de la permission qui m’était donnée. Voici la première halte que je fais, la première fois que je passe trois nuits dans le même lit. D’ici je t’envoie ce que j’ai appris, observé, recueilli jusqu’à ce jour, et, demain matin, je descendrai de l’autre côté ; je visiterai d’abord une merveilleuse famille, une sainte famille, pourrais-je dire, sur laquelle tu trouveras de nouveaux détails dans mon journal. Adieu. Quand tu auras achevé de lire cette lettre, reste persuadée qu’elle n’avait qu’une chose à dire, qu’elle ne voudrait dire et répéter qu’une seule chose, mais qu’elle ne veut pas la dire, qu’elle ne veut pas la répéter, avant