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de la malveillance et de la médisance. Celui qui s’y abandonne arrive bientôt à l’indifférence pour Dieu, au mépris pour le monde, à la haine pour ses égaux, tandis que la véritable, pure et nécessaire estime de soi-même, dégénère en ambition et en vanité.

« Permettez-moi cependant, poursuivit-il, de vous faire une objection : N’a-t-on pas considéré de tout temps la terreur que les peuples sauvages éprouvaient, à la vue des puissants phénomènes’ de la nature et des événements mystérieux, inexplicables, comme le germe duquel devait se développer par degrés un sentiment plus élevé, une émotion plus pure ? »

Les chefs répondirent :

« La peur est un sentiment conforme à la nature : le respect ne l’est pas ; on craint un être puissant, connu ou inconnu ; le fort essaye de le combattre, le faible de l’éviter : l’un et l’autre désirent s’en délivrer, et se sentent heureux, quand ils sont parvenus h l’écarter pour quelque temps ; quand leur nature a reconquis, dans une certaine mesure, la liberté et l’indépendance. L’homme de la nature répète ces expériences mille et mille fois pendant sa vie : de la crainte, il aspire à la liberté, et, de la liberté, il est poussé vers la crainte, et n’en est pas plus avancé. Il est facile, mais il est douloureux, de craindre ; garder le respect est dïïïïcïïë, mais doux. L’homme se résout à regret au respécT7 ou plutôt il ne s’y résout jamais ; c’est un sentiment plus élevé, qu’il faut lui communiquer, et qui ne se développe de lui-même que chez les personnes douées de grâces particulières, et que l’on a toujours considérées, en conséquence, comme des saints, comme des dieux. C’est là ce qui constitue la dignité, le but de toutes les vraies religions, et l’on n’en compte d’ailleurs que trois, selon les objets auxquels s’adressent leurs hommages. »

Les chefs avaient cessé de parler. Wilhelm garda quelque temps un silence rêveur ; mais, comme il ne se sentait pas la hardiesse d’interpréter ces étranges paroles, il pria ces hommes respectables de poursuivre leur exposition, et ils se prêtèrent sur-le-champ à son désir.

« Toute religion, dirent-ils, qui se base sur la crainte n’obtient chez nous aucune estime. Quand l’homme laisse le respect régner dans son ume, il peut, en rendant l’honneur, maintenir le