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de nouveau disparaître, en tournant un rocher, quand Wilhelm, se ravisant, leur cria :

« Mais comment vous retrouverai-je ?

— Demandez après Saint-Joseph ! » répondit une voix de la profondeur.

Et toute la vision disparut dans l’ombre, derrière les roches bleuâtres. Un chant pieux, à plusieurs voix, retentit dans le lointain, en s’affaiblissant par degrés, et Wilhelm crut distinguer la voix de son fils.

Il regagna les hauteurs, ce qui retarda pour lui le coucher du soleil. L’astre, qu’il avait plus d’une fois perdu de vue, l’éclaira de nouveau, quand il se fut élevé davantage, et il était jour encore lorsqu’il arriva à son auberge. Il jouit encore une fois de cette grande vue de montagnes, puis il se retira dans sa chambre, où il prit la plume aussitôt, et passa une partie de la nuit à écrire.

Lettre de Wilhelm à Nathalie.

« Je suis enfin arrivé au sommet de ces montagnes, qui mettront entre nous une barrière plus puissante que toute l’étendue de pays qui nous sépare. À mon sentiment, on est encore près de ses amis, tant que les fleuves coulent vers eux des lieux où l’on se trouve. Aujourd’hui je puis encore me figurer que le rameau jeté de ma main dans le ruisseau de la montagne pourrait flotter jusqu’à toi, pourrait passer, dans peu de jours, devant ton jardin : les rêves de l’esprit, les impressions du cœur, suivent aussi plus aisément la même pente. Mais, de l’autre côté, je le crains, une barrière s’élève devant l’imagination et le sentiment. Toutefois ce n’est peut-être qu’une inquiétude prématurée : car il en sera, je le crois, de l’autre côté comme ici. Qui pourrait me séparer de toi, de toi, à qui j’appartiens pour l’éternité, quand même une bizarre destinée nous sépare, et me ferme soudain le ciel, dont j’étais si proche ? J’ai eu le temps de m’affermir, mais aucun temps n’aurait suffi pour me rendre la fermeté, si ta voix, si tes lèvres ne me l’avaient inspirée en ce moment solennel. Comment aurais-je pu m’arracher