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« D’ordinaire le fils disperse ce que le père a rassemblé ; il assemble autre chose ou d’une autre manière : mais, si l’on peut attendre le petit-fils, la génération nouvelle, les mêmes goûts, les mêmes vues, reparaissent. Je me suis donc enfin procuré, par les soins de notre société pédagogique, un jeune homme de mérite, qui tient, s’il est possible, encore plus que moi-même à la possession traditionnelle, et qui aime passionnément les choses rares. Il a gagné toute ma confiance par les efforts énergiques avec lesquels il a réussi à préserver notre maison de l’incendie ; il a mérité deux fois et trois fois le trésor que je songe à laisser en sa possession ; il lui est même déjà transmis, et, depuis, notre collection s’accroît merveilleusement.

Cependant tout ce que vous voyez ici ne nous appartient pas. Comme vous remarquez chez les prêteurs sur gages maints joyaux étrangers, je puis vous montrer ici des objets précieux qu’on a déposés chez moi, dans les circonstances les plus diverses, afin qu’ils fussent mieux gardés- s

Ces mots rappelèrent à Wilhelm la magnifique cassette, qu’il portait à regret d’un lieu à l’autre dans ses voyages, et il ne résista pas au plaisir de la montrer au vieillard, qui la considéra avec attention, indiqua l’époque à laquelle remontait ce travail, et produisit un ouvrage du même genre. Wilhelm demanda s’il devait ouvrir sa cassette : l’antiquaire le lui déconseilla.

« Je crois, dit-il, qu’on pourrait le faire sans beaucoup de dommage : mais, puisqu’elle est tombée dans vos mains par un si merveilleux hasard, vous devriez faire sur elle l’épreuve de votre bonheur. Car, si vous êtes né sous une heureuse étoile, et, si cette cassette a quelque importance, la clef se trouvera dans l’occasion, et précisément quand vous y penserez le moins.

— On en a vu des exemples, dit Wilhelm.

— Mon expérience personnelle m’en a fourni quelques-uns, répliqua l’antiquaire, et vous avez devant vous le plus remarquable. Durant trente années, je n’ai possédé de ce crucifix que le corps, avec la tête et les pieds, d’une seule pièce : je les gardai soigneusement dans le plus précieux coffret, par respect pour l’objet, aussi bien que pour l’admirable travail. Il y a environ dix ans, que je retrouvai la croix qui s’y rapporte, avec l’inscription, et je me laissai entraîner à faire rétablir les bras