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silence, Lénardo fit l’observation que c’était la manie de l’homme de vouloir tout recommencer ; à quoi son ami repartit que cela pouvait s’expliquer et s’excuser, car, à proprement parler, chacun recommence en effet.

« Est-il un homme, disait-il, qui soit dispensé des maux que ses aïeux ont soufferts ? Et peut-on le blâmer de ne vouloir pas de leurs plaisirs ?

— Vous m’encouragez, répondit Lénardo, à vous faire un aveu : je ne sais agir volontiers que sur les choses qui sont mon ouvrage. Je ne voudrais pas d’un serviteur que je n’aurais pas formé dès son enfance, ni d’un cheval que je n’aurais pas dressé moi-même. Par suite de cette manière de voir, je suis encore, je l’avoue, attiré irrésistiblement vers les situations primitives ; mes voyages à travers tous les pays et les peuples civilisés J(ne’ peuvent étouffer ce sentiment ; mon imagination cherche le bienêtre au delà des mers, et des propriétés de famille, jusqu’à présent négligées,dans ces contrées nouvelles, me font espérer de pouvoir exécuter enfin un plan conçu en silence, et que j’ai vu mûrir peu à peu au gré de mes souhaits.

— Je n’ai rien à objecter, dit Wilhelm : une pensée pareille, tournée vers le nouveau et l’incertain, a quelque chose de grand et de singulier. Mais je vous prie de considérer qu’une telle entreprise ne peut réussir qu’à une association. Vous passerez la mer et vous y trouverez, je le sais, des biens de famille ; mes amis forment les mêmes plans, et se sont déjà établis dans le pays ; unissez-vous à ces hommes énergiques, prudents et sages : l’affaire en deviendra pour tous plus facile et plus considérable.»

En discourant ainsi, les amis étaient arrivés à l’auberge où ils devaient se séparer. Ils se mirent tous deux à écrire. Lénardo recommandait Wilhelm à l’antiquaire ; Wilhelm exposait à ses associés la situation de son nouvel ami : c’était, naturellement, écrire une lettre de recommandation. Il finissait par appeler aussi l’attention de Jarno sur l’affaire dont ils avaient parlé, et développait encore une fois les motifs qui lui faisaient désirer qu’on le délivrât, le plus tôt possible, d’une condition incommode, qui faisait de lui un autre Juif errant.

Au moment où ils échangeaient ces lettres, Wilhelm ne put s’empêcher d’exprimer encore certains scrupules à son ami.