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malles et mes adieux ; le temps pressait. Un soir, je visitais le parc une dernière fois, pour dire adieu aux arbustes, aux arbres connus, quand je trouvai soudain sur mes pas Valérine (car c’était le nom de la jeune fille ; l’autre n’était qu’un surnom familier que lui avait valu la couleur de son teint). Elle m’arrêta au passage. »

Lénardo suspendit un moment son récit et sembla rêveur.

« A quoi pensé-je ? dit-il. Ne s’appelait-elle pas aussi Valérine ? Oui sans doute, poursuivit-il, mais le surnom était plus ordinaire. Bref, la Brunette m’arrête et me prie instamment d’intercéder pour son père, pour elle, auprès de mon oncle. Comme je savais où l’affaire en était, et voyais bien qu’il serait difficile, et même impossible, de faire alors quelque chose pour elle, je le lui dis franchement, et lui présentai sous un jour défavorable la faute de son père.

« Là-dessus elle me répondit avec tant de clarté, et, néanmoins, avec tant de ménagement et d’amour Clial, qu’elle m’inspira le plus vif intérêt, et que, s’il se fût agi de mes propres deniers, j’aurais cédé sur-le-champ à sa prière et comblé ses vœux. Mais il s’agissait des revenus de mon oncle, de ses dispositions, de ses ordres : avec sa manière de voir, après ce qui s’était fait, il n’y avait rien à espérer. Une promesse fut toujours sacrée pour moi ; qui me faisait une demande me mettait dans l’embarras. Je m’étais tellement accoutumé à refuser, que je ne promettais pas même ce que je songeais à tenir. Cette habitude me servit très-bien avec Valérine. Elle s’appuyait sur des considérations personnelles et sur le sentiment : j’invoquais le devoir et la raison, et j’avoue qu’ils finirent par me sembler trop durs à moi-même. Nous avions déjà répété plusieurs fois les mêmes choses sans nous persuader l’un l’autre, quand la nécessité la rendit plus éloquente ; une ruine inévitable, qu’elle voyait devant ses yeux, lui arracha des larmes. Sa réserve ne l’abandonna pas tout à fait, mais elle parla vivement,- avec émotion ; et, tandis que je feignais toujours la froideur et la tranquillité, son âme s’ouvrit tout entière. Je désirais mettre fin à cette scène ; mais tout à coup la jeune fille se jette à mes pieds, me prend la main, la presse sur ses lèvres, et me regarde d’un air si suppliant et