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qui le lui montra d’une remarquable grosseur, accompagné de ses lunes.

Après être demeuré longtemps plongé dans cette contemplation, notre ami se tourna vers l’astronome et lui dit :

« Je ne sais si je dois vous remercier d’avoir approché cet astre de moi hors de toute proportion. Quand je le regardais auparavant, il était en rapport avec les innombrables étoiles du ciel et avec moi-même : maintenant il se présente à mon. imagination, hors de mesure, et je ne sais si je voudrais rapprocher de moi pareillement le reste des légions célestes : j’en serais oppressé, écrasé. »

C’est ainsi que notre ami s’épanchait, selon sa coutume, et cette occasion provoqua maintes réflexions inattendues. A quelques réponses de l’astronome, Wilhelm répliqua :

« Je comprends fort bien que, vous autres savants, vous trouviez le plus grand plaisir à rapprocher ainsi de vous en détail l’immense univers, comme j’ai vu et vois ici cette planète : mais, souffrez que je le dise, tout considéré, l’expérience m’a prouvé qu’en général ces moyens par lesquels nous venons en aide à nos sens n’exercent sur l’homme aucun effet moral favorable. Celui qui observe à travers les lunettes se croit plus sage qu’il n’est, car son sens externe cesse par là d’être en équilibre avec sa faculté de juger : il faut un haut degré de développement intellectuel, auquel des hommes privilégiés peuvent seuls atteindre, pour accorder, en quelque mesure, la vérité intérieure avec cette illusion du rapprochement des objets extérieurs. Chaque fois que je regarde par la lunette, je suis un autre homme et mécontent de moi-même : je vois plus qu’il ne m’appartient de voir. Le monde, observé d’une vue trop perçante, ne s’harmonise pas avec mon esprit, et je me hâte de mettre les instruments à l’écart, quand j’ai satisfait ma curiosité de connaître tel ou tel objet éloigné. »

Sur quelques réflexions badines de l’astronome, Wilhelm poursuivit :

« Nous ne bannirons de chez les hommes ni ces verres optiques, ni aucune espèce de machines ; mais il importe à l’observateur des mœurs de rechercher et de savoir comment se sont introduites dans la société maintes choses dont on se plaint. Je