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liées ainsi que nous. Si vous aviez pu remarquer son trouble, combien elle avait de peine à se retenir de vous avouer tout, vous l’auriez aimée deux fois et trois fois autant, si tout amour véritable n’était pas décuple et centuple par lui-même. Et, je vous l’assure, nous avons tous fini par trouver le jeu trop long.

LUCIDOR.

Pourquoi ne pas y mettre fin ?

JULIE.

C’est ce qu’il faut encore vous expliquer. Dès que votre premier monologue fut connu de notre père, et qu’il eut constaté qu’aucun de ses enfants n’avait d’objection contre cet échange, il résolut de se rendre aussitôt chez son ami. L’importance de l’affaire le rendait circonspect. Un père seul est capable de sentir les égards que l’on doit à un père. « Il doit être informé le premier, dit le nôtre, afin de n’avoir pas à donner après coup, lorsque nous serons d’accord, un consentement arraché de mauvaise grâce. Je le connais parfaitement ; je sais comme il s’attache à une idée, un goût, un projet, et je ne suis pas sans inquiétude. Julie est tellement identifiée dans son esprit avec ses cartes et ses dessins topographiques, que déjà il se proposait de transporter ici tout ce bagage, quand viendrait le jour- où le jeune couple s’y établirait et ne pourrait plus changer aisément de résidence ; il voulait alors nous consacrer toutes ses vacances, et que sais-je encore les beaux rêves qu’il faisait ? Il faut qu’il apprenne d’abord le tour que nous a joué l’inclination naturelle, avant que rien ne soit proprement déclaré, ne soit décidé. » Là-dessus notre père, nous tendant la main, nous fit promettre à tous, de la manière la plus solennelle, de vous observer, et, quoi qu’il pût arriver, de traîner avec vous le temps en longueur. Comment son retour s’est fait attendre, combien d’adresse, d’efforts et de persistance lui ont été nécessaires pour obtenir le consentement de votre père, c’est ce qu’il pourra vous apprendre lui-même. Enfin la chose est faite ; Lucinde vous est accordée. »

Julie et Lucidor s’étaient éloignés vivement de leur première station ; et, s’arrêtant par intervalles, continuant à discourir, puis reprenant lentement leur marche à travers les prairies, ils étaient arrivés, sur la colline, à une autre chaussée, soigneuse-