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fois à l’éloge de Philine, à quoi Laërtes ne répondit que peu de mots, d’un ton léger.

Le lendemain, après avoir fait des armes pendant une heure, ils se rendirent à l’auberge de Philine, où ils avaient déjà vu arriver la voiture commandée. Mais quelle ne fut pas la surprise de Wilhelm ! La voiture avait disparu, et, qui plus est, Philine n’était pas au logis. Elle était montée, leur dit-on, dans le carrosse avec deux étrangers arrivés le matin, et ils étaient partis ensemble.

Notre ami, qui s’était flatté de passer avec elle des moments agréables, ne put dissimuler son dépit ; mais Laërtes se prit à rire et s’écria :

«  Voilà comme elle me plaît ! Voilà bien son humeur ! N’importe, allons à pied à la maison de chasse. Que Philine soit où elle voudra, nous ne manquerons pas notre promenade pour elle. »

Comme Wilhelm ne cessait de blâmer, chemin faisant, cette inconséquence, Laërtes lui dit :

«  Je ne puis trouver inconséquente une personne qui reste fidèle à son caractère. Si elle projette ou promet quelque chose, c’est toujours sous la condition tacite qu’il lui conviendra d’exécuter son dessein ou de tenir sa promesse. Elle donne volontiers, mais il faut être toujours prêt à lui rendre ses dons.

— Voilà un singulier caractère !

— Rien moins que singulier ; seulement elle n’est pas hypocrite : c’est pourquoi je l’aime. Oui, je suis son ami, parce qu’elle me représente fidèlement un sexe que j’ai tant de raisons de haïr. Elle est vraiment, à mes yeux, Ève, la mère primitive du sexe féminin. Elles sont toutes ainsi ; seulement elles ne veulent pas en convenir. »

Au milieu d’entretiens divers, pendant lesquels Laërtes exprima très-vivement sa haine pour les femmes, sans en donner le motif, ils étaient arrivés dans la forêt, où Wilhelm s’avançait avec beaucoup de tristesse, parce que les discours de Laërtes avaient réveillé le souvenir de sa liaison avec Marianne. Ils trouvèrent, non loin d’une source ombragée, sous de vieux arbres magnifiques Philine, assise seule à côté d’une table de pierre.