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personne de plus actif que lui au comptoir, à la Bourse et dans les magasins ; comptes et correspondance et ce qui lui était confié, il soignait, il faisait tout avec l’activité, avec l’ardeur la plus grande. Ce n’était pas, il est vrai, cette joyeuse activité, qui est en même temps la récompense de l’homme laborieux, quand nous faisons avec ordre et avec suite les travaux pour lesquels nous sommes nés ; c’était la silencieuse activité du devoir, qui a pour base la meilleure intention, qui est nourrie par la conviction, et récompensée par l’estime de soi-même, mais qui souvent, même quand la conscience lui décerne la plus belle couronne, peut à peine étouffer un soupir.

Wilhelm continua de vivre quelque temps de la sorte, dans une grande application, et il se persuadait que le sort lui avait imposé pour son plus grand bien la rude épreuve qu’il avait subie ; il s’applaudissait de se voir averti assez tôt, quoique bien rudement, sur le chemin de la vie, tandis que d’autres expient plus tard, et plus cruellement, les erreurs où les a jetés un caprice de jeunesse. Car d’ordinaire l’homme se défend aussi longtemps qu’il peut de congédier la folie qu’il nourrit dans son sein, d’avouer une erreur capitale, et de reconnaître une vérité qui le plonge dans le désespoir.

Tout décidé qu’il était au sacrifice de ses idées les plus chères, il fallut quelque temps pour le convaincre entièrement de son malheur. Enfin il avait, par de solides raisons, étouffé si complètement dans son cœur toute espérance d’amour, de travaux poétiques, d’imitation théâtrale, qu’il prit la courageuse résolution d’anéantir toutes les traces de sa folie et tout ce qui pourrait la lui rappeler. Ayant donc allumé, par une soirée froide, un feu de cheminée, il tira d’une armoire un coffret de reliques, où se trouvaient mille bagatelles, qu’en des moments heureux il avait reçues de Marianne ou lui avait dérobées. Chaque fleur desséchée lui rappelait le temps où, fraîche encore, elle brillait dans les cheveux de sa maîtresse ; chaque billet, l’heure fortunée où elle l’invitait ; chaque nœud de rubans, le beau sein sur lequel il avait reposé sa tête. N’était-ce pas de quoi réveiller les sentiments qu’il croyait avoir depuis longtemps étouffés ? Et la passion, dont il s’était rendu maître loin de son amante, ne devait-elle pas reprendre sa force en présence de ces bagatelles ?