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indisposition ; elle se plaignit d’un mal de tête, et, quand il demanda de revenir cette nuit, elle n’y voulut pas consentir. Il ne soupçonna rien de fâcheux, n’insista point, mais il sentit que ce n’était pas le moment de lui donner sa lettre. Il la garda, et, comme quelques gestes et quelques paroles de Marianne l’obligèrent doucement de se retirer, dans l’ivresse de son amour, qui ne pouvait se satisfaire, il prit un des mouchoirs de Marianne, le mit dans sa poche, et quitta, malgré lui, ses lèvres et sa porte. Il se retira chez lui, mais il ne put non plus y durer longtemps : il changea de vêtements et chercha de nouveau le grand air.

Après avoir parcouru quelques rues, il rencontra un étranger, qui le pria de lui indiquer une auberge qu’il nomma. Wilhelm offrit de l’y conduire. Chemin faisant, l’étranger lui demanda le nom de la rue et des propriétaires de quelques grandes maisons devant lesquelles ils passaient, puis quelques renseignements sur la police de la ville, et ils étaient engagés dans une conversation fort intéressante, lorsqu’ils arrivèrent à la porte de l’auberge. L’étranger obligea son guide d’entrer et de prendre avec lui un verre de punch, en même temps qu’il lui fit connaître son nom, son pays et même les affaires qui l’avaient amené ; puis il pria Wilhelm de lui montrer la même confiance. Wilhelm n’hésita point à lui dire son nom et sa demeure.

«  N’êtes-vous point le petit-fils du vieux Meister, qui possédait une belle collection d’objets d’arts ? demanda l’étranger.

— Oui, c’est moi. J’avais dix ans quand mon grand-père mourut, et ce fut un vif chagrin pour moi de voir vendre ces belles choses.

— Votre père en a retiré une somme considérable.

— Vous le savez donc ?

— Oui ; j’ai vu autrefois cette précieuse collection dans votre maison. Votre grand-père n’était pas un simple collectionneur, c’était un connaisseur. Il avait fait dans sa jeunesse, à une heureuse époque, un voyage en Italie, et en avait rapporté des trésors qu’on ne pourrait plus maintenant se procurer pour aucun prix. Il possédait d’excellents tableaux des meilleurs maîtres ; on en croyait à peine ses yeux, quand on parcourait ses dessins ; il se trouvait parmi ses marbres quelques fragments inestimables ; il possédait une suite de bronzes très-instructive ; il