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578 LES ANNÉES D’APPRENTISSAf’.H

gard plein de désespoir et sortit. Bientôt après, le comte se retira,

« Je ne puis concevoir, dit le médecin, au bout de quelque temps, qu’il ne se manifeste pas chez l’enfant le moindre symptôme d’un état dangereux. D’une seule gorgée, il doit avoir pris une énorme dose d’opium, et je ne trouve dans l’état de son pouls rien que je ne puisse attribuer à mes remèdes et a la frayeur que nous lui avons causée. »

Bientôt après, Jarno apporta la nouvelle qu’on avait trouvé dans les combles Augustin baigné dans son sang ; un rasoir était auprès de lui ; il s’était coupé la gorge. Le docteur y courut, et rencontra dans l’escalier les domestiques qui apportaient le blessé. Il fut couché sur un lit, et la blessure soigneusement examinée. L’incision avait atteint la trachée-artère ; une forte hémorragie avait amené un évanouissement, mais on remarqua bientôt qu’il y avait encore de la vie, encore de l’espérance. Le docteur plaça le corps dans l’attitude convenable, rapprocha les parties séparées et banda la plaie. Tout le monde passa la nuit dans l’angoisse et l’insomnie. L’enfant ne voulait pas quitter Nathalie. Wilhelm était assis devant elle sur un tabouret les pieds de Félix reposaient sur ses genoux, la tête et la poitrine sur ceux de Nathalie ils se partagèrent de la sorte ce fardeau chéri et ces soins douloureux, et restèrent jusqu’au jour dans cette posture incommode. Nathalie avait donné sa main a Wilhelm ; ils ne disaient pas un mot, regardaient l’enfant et se regardaient l’un l’autre. Lothaire et Jarno étaient assis à l’autre bout de la chambre, engagés dans une conversation importante, que nous rapporterions volontiers à nos lecteurs, si nous étions moins pressés par les événements. L’enfant dormit doucement, s’éveilla de bon matin tout joyeux, sauta par terre et demanda une tartine de beurre.

Dès qu’Augustin se fut un peu remis, on tâcha d’obtenir de lui quelques éclaircissements. On apprit, non sans peine, et par degrés seulement, qu’à la suite de la malheureuse dislocation du comte, étant logé dans la même chambre que l’abbé, il avait trouvé le manuscrit et lu son histoire ; qu’elle lui avait causé une horreur sans égale, et qu’il s’était jugé indigne de vivre plus longtemps ; aussitôt, selon sa pensée habituelle, il