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576 LKS ANNHES D’APPRENTISSAGE

Qui pourrait dire tout le sang anglais qui, depuis trente ans, circule dans les veines allemandes ? Je ne veux pas insister davantage vous avez toujours de ces secrets de famille ; mais ce n’est pas a moi qu’on en fait accroire là-dessus.

Puis le comte rapporta encore maintes choses que Wilhelm avait dû faire dans son château et Jarno continua de garder ie silence, quoique le vieux seigneur confondît plus d’une fois notre ami avec un jeune Anglais de la suite du prince. Le bonhomme avait eu autrefois une excellente mémoire, et il triomphait encore de pouvoir se rappeler les moindres événements de sa jeunesse ; mais il donnait, avec la même assurance, comme des choses vraies, des combinaisons et des fables bizarres, que son imagination lui avait présentées, à mesure que sa mémoire s’affaiblissait davantage. Du reste il était devenu fort doux et fort obligeant, et sa présence eut une influence trèsheureuse sur la société. Il demandait que l’on fit ensemble quelque bonne lecture ; il indiquait parfois de petits jeux qu’il dirigeaitavec grand soin, s’il n’y prenait point de part, et, comme on admirait ses manières affables, il répondait que c’était le devoir de toute personne qui se retirait du monde pour les grandes affaires, de se prêter d’autant plus aux choses indifférentes.

Au milieu de ces amusements, notre ami avait plus d’un moment d’inquiétude et de chagrin ; le léger Frédéric saisissait mainte occasion de faire allusion au penchant de Wilhelm pour Nathalie. Qu’est-ce qui pouvait lui en suggérer l’idée ? Qui l’autorisait à tenir ce langage ? Et la société ne devait-elle pas croire que, ces deux jeunes hommes étant beaucoup ensemble, Wilhelm avait fait à Frédéric cette imprudente et malheureuse confidence ?

L’n jour, ce badinage les avait égayés plus que de coutume, quand Augustin, ouvrant tout à coup la porte avec fracas, se précipite dans la salle en faisant des gestes forcenés il avait le visage pâle, l’œil hagard ; il voulait parler, et la voix lui manquait. La société fut saisie d’effroi Lothaire et Jarno, qui craignaient un nouvel accès de démence, se jettent sur lui et le tiennent fortement. Alors, balbutiant d’abord d’une voix étouffée, puis violente et furieuse, il s’écrie :