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562 LES ANNÉES D’APPHENTISSAC.E

notre frère de vue, et surtout que nous ne le laisserions pas sortir du château. Là-dessus il s’en alla, et promit de revenir dans quelques jours. Ce que nous avions prévu arriva la raison avait fait la force de notre frère, mais son cœur était faible les premières impressions de la religion se ranimèrent, et les plus horribles doutes s’emparèrent de lui. Il passa deux jours et deux nuits terribles ; le confesseur vint à son secours tout fut mutile. La raison libre et indépendante l’absolvait : mais sa conscience, sa religion, ses idées accoutumées, le déclaraient criminel.

Un matin, nous trouvâmes sa chambre vide un billet, laissé sur une table, nous apprenait que, se voyant retenu par nous de force, il avait droit de ressaisir sa liberté ; il fuyait, il allait rejoindre Spérata, il .comptait s’échapper avec elle ; il était résolu à tout, si l’on tentait de les séparer.

Nous étions consternés, mais le confesseur nous rassura. On avait observé de près notre pauvre frère les bateliers, au lieu de le passer sur l’autre bord, l’avaient ramené à son couvent. Epuisé par vingt-quatre heures de veille, il s’était endormi, aussitôt que la nacelle l’avait balancé au clair de lune, et ne s’était réveillé que dans les mains de ses frères spirituels il n’avait recouvré sa présence d’esprit que pour entendre la porte du couvent se fermer derrière lui.

Douloureusement émus du sort de notre frère, nous fîmes au confesseur les plus vifs reproches mais cet homme vénérable sut bientôt nous persuader, avec les raisonnements du chirurgien, que notre pitié était mortelle pour le pauvre malade luimême, il n’agissait pas de son chef, mais par l’ordre de l’évêque et du conseil supérieur. On avait voulu éviter tout scandale public et couvrir du voile secret de la discipline ecclésiastique cette triste aventure il fallait épargner Spérata, il ne fallait pas qu’elle apprît que son amant était son frère. On l’avait recommandée à un ecclésiastique, auquel elle avait déjà confié son état. On sut tenir sa grossesse et ses couches secrètes. Elle goûta parfaitement le bonheur de mère avec son petit enfant. Ainsi que la plupart de nos jeunes filles, elle ne savait ni écrire ni lire l’écriture ; elle chargeait donc le prêtre de répéter à son amant ce qu’elle voulait lui dire. Le prêtre se croyait obligé à