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DE WILHELM MEISTER. 561

COETHE.–ANN.U’APPB. 36

Il persista longtemps de la sorte à refuser obstinément de croire notre récit ; enfin, comme nous en attestions la vérité, comme le confesseur lui-même la confirmait, il ne se laissa pas déconcerter et s’écria

« N’interrogez pas l’écho de vos cloîtres, ni vos parchemins vermoulus, ni le dédale de vos fantaisies et de vos ordonnances interrogez votre cœur et la nature. Elle vous apprendra ce qui doit vous faire horreur ; elle vous montrera, d’un doigt sévère, ce qu’elle frappe d’une malédiction éternelle, irrévocable. Voyez les lis l’époux et l’épouse ne naissent-ils pas sur la même tige ? La fleur qui les a produits, ne les unit-elle pas tous deux ? Et le lis n’est-il pas l’emblème de l’innocence, et son union fraternelle n’est-elle pas féconde ? Ce que réprouve la nature, elle le déclare, elle le déclare hautement la créature qui ne doit pas exister ne saurait naître ; la créature dont la vie est usurpée est bientôt détruite. La stérilité, une existence misérable, une décadence précoce, voilà les malédictions de la nature, les signes de sa colère elle ne châtie que par des suites immédiates. Regardez autour de vous, et ce qu’elle défend, ce qu’elle maudit, frappera vos yeux. Dans le silence du cloître et dans le tumulte du monde, mille actions sont sanctifiées et honorées, sur lesquelles sa malédiction repose. Son regard s’arrête avec tristesse sur l’oisiveté nonchalante, comme sur le travail forcé ; sur le luxe et la tyrannie, comme sur la détresse et l’indigence ; elle invite a la modération ; toutes ses relations sont vraies et tous ses actes paisibles. Quiconque a souffert comme moi a le droit d’être libre. Spérata m’appartient ; la mort seule peut me la ravir. Comment je puis la conserver, comment je pourrai être heureux. voilà votre souci ?. Je cours auprès d’elle pour ne plus m’en séparer. »

Il voulait prendre un bateau, pour passer sur l’autre bord chez Spérata nous le retînmes et le suppliâmes de ne pas faire une démarche qui pouvait avoir les plus affreuses conséquences ; il devait réfléchir qu’il ne vivait pas dans le libre monde de ses pensées et de ses conceptions idéales, mais dans une société dont les lois et les rapports avaient acquis la force invincible d’une loi naturelle.

Nous dûmes promettre au confesseur que nous ne perdrions pas