Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/56

Cette page n’a pas encore été corrigée

privilège qu’il avait sollicité et obtenu du directeur ! Alors sans doute la magie de la perspective avait disparu, mais le charme bien plus puissant de l’amour commençait à opérer avec toute sa force. Il pouvait rester des heures auprès de l’immonde char de lumière, respirer la fumée des lampes, suivre des yeux sa bien-aimée sur la scène, et, lorsqu’elle rentrait dans les coulisses et le regardait avec amitié, il se sentait ivre de joie, et, parmi cet échafaudage de planches et de solives, il se croyait transporté dans un paradis. Les agneaux empaillés, les cascades en toile gommée, les rosiers de carton, les chaumières qui n’avaient qu’une seule face, éveillaient en lui d’aimables et poétiques images d’un vieux monde pastoral. Les danseuses même les plus laides à voir de près ne lui déplaisaient pas toujours, parce qu’elles figuraient sur les mêmes planches que son amante. Il est donc vrai que l’amour, qui sait d’abord animer les berceaux de roses, les bosquets de myrtes et le clair de lune, peut donner aussi une apparence de vie aux rognures de bois et aux découpures de papier ! C’est un merveilleux assaisonnement, qui peut rendre appétissants les ragoûts les plus insipides.

Cette magie était assurément nécessaire pour lui rendre supportable, agréable même, dans la suite, l’état où il trouvait d’ordinaire la chambre de Marianne et parfois aussi sa personne.

Élevé dans une élégante maison bourgeoise, il vivait dans l’ordre et la propreté comme dans son élément ; ayant hérité une partie des goûts fastueux de son père, il avait su, dès son enfance, décorer pompeusement sa chambre, qu’il regardait comme son petit royaume. Les rideaux de son lit étaient relevés à grands plis et retenus par une campane, comme on a coutume de représenter les trônes ; un tapis couvrait le plancher, et un autre, plus précieux, la table ; il plaçait et disposait ses livres et ses meubles avec un soin si minutieux, qu’un peintre flamand aurait pu en tirer des groupes excellents pour ses tableaux d’intérieur. Il avait disposé un bonnet de coton en forme de turban, et fait tailler, dans le goût oriental, les manches de sa robe de chambre ; il en donnait toutefois pour motif que les longues et larges manches le gênaient pour écrire. Le soir, lorsqu’il était seul, et qu’il n’avait plus à craindre d’être dérangé, il passait