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548 LES ANNEES D’APPRENTISSAGE

manières aimables le rassurèrent complétement. Elle lui indiqua différentes villes, qu’elle lui conseillait de visiter, pour y voir quelques-uns de ses amis.

Le courrier revint et remit a Wilhelm ce qu’il avait demandé, mais Wernerne paraissait pas satisfait de cette nouvelle excursion. « Mon espérance de te voir raisonnable, lui écrivait-il, est de nouveau et pour longtemps ajournée. Où donc vous promenezvous tous ensemble Ou s’arrête cette dame, dont tu me promettais l’assistance pour la gestion du domaine ? Tes autres amis ont aussi disparu tout roule maintenant sur le bailli et sur moi. Heureusement il est aussi bon jurisconsulte que je suis bon financier, et nous sommes tous deux accoutumés au travail. Adieu ! Il faut te pardonner tes extravagances, puisque, sans elles, notre position dans ce pays n’aurait pu devenir aussi avantageuse. Wilhelm était donc en mesure de partir, mais son cœur était encore lié par une double chaîne. On ne voulait absolument lui laisser voir les restes de Mignon que le jour des funérailles, dont l’abbé n’avait pas encore achevé tous les préparatifs. D’un autre côté, une lettre mystérieuse du pasteur de campagne avait appelé le médecin il s’agissait du joueur de harpe, dont Wilhelm désirait avoir des nouvelles précises.

Dans cette situation, il ne trouvait, ni la nuit ni le jour, le repos du corps et de l’esprit. Quand tout le monde était livré au sommeil, il parcourait le château. La vue des œuvres d’art, qui lui étaient connues depuis longtemps, l’attirait et le repoussait. Il ne pouvait ni s’arrêter à ce qui l’entourait, ni le quitter ; chaque objet réveillait tous ses souvenirs ; il voyait d’un coup d’œil tout le cercle de sa vie, mais, hélas il le voyait brisé devant lui, et qui semblait ne vouloir jamais se reformer. Ces objets d’art, que son père avait vendus, lui paraissaient un symbole lui-même il se verrait aussi exclu de la possession solide et tranquille de ce qui est désirable en ce monde ; il en serait dépouillé par sa faute ou par celle d’autrui. Il se perdait telle.ment dans ces bizarres et tristes méditations, qu’il lui semblait quelquefois être lui-même une ombre, et, même lorsqu’il touchait et palpait les objets extérieurs, il avait peine à surmonter son doute et se demandait s’il vivait encore.

La vive douleur qui le saisissait quelquefois, à la pensée qu’il