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524 LES ANNEES D’APPRENTISSAGE

mourir ! Le malheuc que nous voyons de nos yeux est moins terrible, que si notre imagination l’imprime violemment dans notre âme. Voyons cet ange envole ! Sa figure sereine nous dira qu’elle est heureuse.

Les dames, ne pouvant retenir Wilhelm désespéré, le suivirent mais’Ie bon docteur, qui vint au-devant d’eux avec le chirurgien, les empêcha d’approcher de la morte.

« Éloignez-vous, leur dit-il, de cet objet douloureux, et pérmettez-moi de donner, autant que mon art le permettra, quelque durée aux restes de cette mystérieuse créature. Je veux exercer sans délai sur l’enfant qui vous fut chère le bel art qui ne se borne pas à embaumer un corps, mais qui lui conserve les apparences de la vie. Comme je prévoyais sa mort, j’ai fait tous les préparatifs, et je réussirai, avec le secours de mon confrère. Accordez-moi quelques jours et ne demandez pas de revoir la chère enfant, avant que nous l’ayons transportée dans la Salle du passé.

En ce moment, le jeune chirurgien tenait la trousse que Wilhelm avait déjà vue dans ses mains.

« De qui peut-il bien l’avoir acquise ? demanda-t-il à Nathalie ?

-Je la connais parfaitement, répondit-elle il la tient de son père, qui vous pansa dans la forêt.

Je ne m’étais donc pas trompé, dit Wilheim. J’avais reconnu tout de suite le ruban. Oh ! cédez-le-moi ! C’est lui qui m’a mis d’abord sur la trace de ma bienfaitrice. A combien de plaisirs et de peines peut survivre un objet inanimé, tel que celui-là ! Que de souffrances dont il fut le témoin, et sa trame subsiste encore ! Combien de personnes il a vues à leur moment suprême, et ses couleurs ne sont point flétries’ tl était présent à l’un des plus beaux moments de ma vie, quand j’étais blessé, couché par terre, quand votre beauté secourable apparut devant moi, quand, les cheveux ensanglantés, elle prenait les plus tendres soins de ma vie, l’enfant dont nous pleurons la mort. » Les amis n’eurent pas le loisir de s’entretenir longtemps de cet événement funeste, et d’apprendre à Thérèse l’origine de Mignon et la cause probable de sa mort soudaine, car on annonça des étrangers, et, lorsqu’ils parurent, on fut bien sur