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DE WILHELM MEISTER. 487

grandeur et Werner avec facilité. Dans son ardeur pour le gain, Werner éprouvait une grande joie de la belle acquisition qu’il allait faire, ou plutôt son ami. Lothaire, de son côté, semblait occupé de tout autres pensées.

t Ce qui peut me réjouir, disait-il, c’est moins la possession que la légitimité.

Mais, au nom du ciel, s’écria Werner, notre possession n’est-elle pas assez légitime ?

Pas tout à fait, répondit Lothaire.

Est-ce que nous ne donnons pas notre argent ?

Fort bien aussi regarderez-vous peut-être comme un vain scrupule ce que j’ai a vous dire. Je ne vois de propriété tout à fait légitime, tout à fait pure, que celle qui paye sa dette à l’État.

Comment ? dit Werner vous voudriez donc que nos terres, achetées libres, fussent imposables ?

Oui, jusqu’à, un certain point car c’est seulement.de cette égalité avec les autres terres que résulte la sûreté de la possession. De nos jours, où tant de principes sont ébranlés, quelle est la raison essentielle qui fait juger au paysan que la propriété du gentilhomme est moins solide que la sienne ? C’est uniquement que le gentilhomme n’est pas imposé, qu’il pèse sur lui. Que deviendront alors les intérêts de notre capital ? Ils ne s’en trouveraient pas plus mal, dit Lothaire, si, en échange d’un impôt raisonnable et régulier, l’État voulait nous affranchir de ces simagrées de fiefs, et nous permettre de disposer de nos terres à notre gré, en sorte que nous ne fussions pas obligés de les grouper en si grandes masses ; qu’il nous fût loisible de les partager entre nos enfants d’une manière plus égale, pour leur assurer à tous une vive et libre activité, au Heu de leur laisser des priviléges gênés et gênants, que nous ne pouvons maintenir qu’en invoquant les mânes de nos ancêtres. Combien ne seraient pas plus heureux les hommes et les femmes, s’ils pouvaient regarder autour d’eux librement, et, sans considérations étrangères, élever jusqu’à eux par leur choix, tantôt une vertueuse jeune fille, tantôt un digne jeune homme ! L’Etat aurait de plus nombreux, peut-être de meilleurs citoyens, et ne manquerait pas si souvent de têtes et de bras.