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À ces mots, le vieux bailli se trouva dans un double et triple embarras. Déjà les gracieuses mercuriales bourdonnaient autour de ses oreilles. L’éloquence facile de la jeune personne avait absolument troublé son projet de procès-verbal. Ce fut bien pis encore lorsque, sur les questions d’usage, qui lui furent répétées, elle refusa de plus amples explications, et se référa constamment à ce qu’elle avait dit.

«  Je ne suis pas une criminelle ! s’écria la jeune fille. On m’a traînée ici honteusement sur la paille : il y a une justice supérieure, qui nous rendra l’honneur. »

Le greffier, qui avait couché par écrit toutes ses paroles, dit tout bas au bailli qu’il n’avait qu’à poursuivre l’interrogatoire ; que l’on pourrait ensuite rédiger un procès-verbal en bonne forme.

Le bailli reprit courage, et commençait à s’enquérir sèchement, avec les arides formules traditionnelles, des doux mystères de l’amour.

La rougeur monta au visage de Wilhelm ; les joues de la gentille pécheresse s’animèrent en même temps du charmant coloris de la pudeur. Elle se tut, elle hésita ; enfin l’embarras même sembla relever son courage.

«  Soyez convaincu, s’écria-t-elle, que j’aurais assez de force pour déclarer la vérité, quand je devrais parler contre moi-même. Devrais-je hésiter et reculer quand elle me fait honneur ? Oui, dès le moment où je fus assurée de son attachement et de sa fidélité, je l’ai regardé comme mon époux ; je lui ai volontiers accordé tout ce que l’amour demande et que les cœurs bien épris ne peuvent refuser. Maintenant, faites de moi ce que vous voudrez. Si j’ai balancé un moment à faire cet aveu, la crainte qu’il ne pût avoir pour mon amant des suites fâcheuses en était la seule cause. »

Sur cet aveu, Wilhelm prit une haute idée des sentiments de la jeune fille, tandis que les juges la déclaraient une effrontée, et que les bourgeois présents rendaient grâce à Dieu de ce qu’une chose pareille n’était pas arrivée dans leurs familles, ou du moins n’avait pas été connue.

À ce moment, Wilhelm se figurait sa Marianne devant le tribunal ; il mettait dans sa bouche des paroles plus belles encore ;