Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/471

Cette page n’a pas encore été corrigée

DE WILHELM MEISTER. 467

Barbara tira un billet du portefeuille ; Wilhelm reconnut la main détestée ; il fit un effort sur lui-même et lut ce qui suit « Dis-moi, jeune fille, comment tu peux prendre tant d’empire sur moi ? Je n’aurais pas cru qu’une déesse même pût faire de moi un soupirant. Au lieu de venir à moi les bras ouverts, tu recules ; on aurait pu dire, à ta conduite, que je te fais horreur. Est-il permis de me faire passer la nuit dans une chambre à part, assis sur un coffre, à côté de la vieille Barbara ? Et deux portes seulement me séparaient de ma bien-aimée ! C’est trop fort, te dis-je. J’ai promis de te laisser un peu de réflexion, de ne pas me montrer d’abord trop pressant, et chaque quart d’heure perdu me rend furieux. Ne t’ai-je pas donné tout ce que j’ai cru pouvoir t’être agréable ? N’es-tu pas encore persuadée de mon amour ? Si tu désires quelque chose, parle tu ne manqueras de rien. Je voudrais qu’il devînt aveugle et muet, le calotin qui t’a mis ces folies dans la tête ! Fallait-il en choisir un pareil ? Tant d’autres savent passer quelque chose aux jeunes gens Tu m’entends il faut que cela change j’exige une réponse dans deux ou trois jours, car je dois repartir bientôt, et, si tu ne redeviens pas aimable et complaisante, tu ne me reverras jamais. »

La lettre continuait longtemps sur ce ton ; à la douloureuse satisfaction de Wilhelm, elle tournait toujours autour du même point et témoignait de la vérité du récit de Barbara. Une seconde lettre prouvait clairement que Marianne n’avait pas cédé non plus dans la suite, et Wilhelm apprit, non sans une douleur profonde, dans toute cette correspondance, l’histoire de la malheureuse jeune fille, jusqu’à l’heure de sa mort. La vieille avait apprivoisé peu à peu le farouche Norberg, en lui annonçant la mort de Marianne et lui laissant croire que Félix était son fils ; il lui avait envoyé quelquefois de l’argent, qu’elle s’appropriait, car elle avait déjà su persuader à Aurélie de prendre à sa charge l’éducation de l’enfant. Malheureusement, ces secrètes ressources lui manquèrent bientôt Norberg avait dissipé, par sa mauvaise conduite, la plus grande partie de sa fortune, et de nouvelles galanteries endurcirent son cœur pour son fils prétendu.

Quoique tout cela parût être fort vraisemblable et s’accorder