Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/434

Cette page n’a pas encore été corrigée

430 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

déguisées et se montraient là-haut, et voulaient qu’on les prit pour autre chose que ce qu’elles étaient réellement. Je ne voyais jamais que ma mère et Lydie et le baron ou le secrétaire un tel, qu’ils se présentassent comme princes et comtes ou comme paysans ; et je ne pouvais comprendre qu’ils voulussent me persuader qu’ils étaient heureux ou malheureux, amoureux ou indifférents, avares ou généreux, moi qui, le plus souvent, savais parfaitement le contraire. Aussi ne restais-je presque jamais parmi les spectateurs ; je mouchais les chandelles, pour faire quelque chose ; je m’occupais du souper, et, le lendemain, tandis que tous ces gens dormaient encore, je mettais en ordre leur garde-robe, que d’ordinaire ils laissaient, le soir, sens dessus dessous.

« Cette activité semblait fort convenir à ma mère ; mais je ne pouvais gagner son affection ; elle me méprisait, et je sais fort bien qu’elle répéta plus d’une fois avec amertume « Si la mère pouvait être incertaine comme le père, on aurait « de la peine à croire que cette servante fût ma fille. » « J’avoue que sa conduite finit par m’éloigner d’elle tout à fait ; je considérais ses actions comme celles d’une personne étrangère, et, comme j’étais accoutumée à observer d’un œil d’aigle les valets (car, pour le dire en passant, cette surveillance est la base de l’économie domestique), j’observai aussi les rapports de ma mère avec sa société. Il était facile de remarquer qu’elle ne voyait pas tous les hommes avec les mêmes yeux. Mon attention redoubla, et j’observai bientôt que Lydie était sa confidente, et, à cette occasion, apprenait elle-même à mieux connaître une passion qu’elle avait si souvent jouée dès sa première jeunesse.

Je savais tous leurs rendez-vous ; je me taisais néanmoins, et ne disais rien à mon père, que je craignais d’affliger mais enfin j’y fus obligée. Il y avait bien des choses qu’ils ne pouvaient risquer sans corrompre les domestiques ceux-ci commencèrent à me braver, à négliger les ordres de mon père, à mépriser les miens. La confusion qui s’ensuivit m’était insupportable je signalai, je dénonçai tout à mon père. Il m’écouta d’un air calme, et me répondit avec un sourire

« Ma chère enfant, je sais tout ; sois tranquille ; souffre ces