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DE WILIIELM MEISTER. 415

Quand notre ami se trouva seul dans le salon avec Jarno, il lui dit avec transport

Au nom du ciel, qu’ai-je entendu ? Quel est ce comte, qui se retire chez les frères moraves ? P

Vous le connaissez fort bien vous êtes le fantôme qui l’a jeté dans les bras de la dévotion ; vous êtes le mauvais sujet qui réduit sa charmante femme à trouver supportable de suivre son mari.

Et c’est la sœur de Lothaire ?

Elle-même.

Et Lothaire sait.

II sait tout.

Oh ! laissez-moi fuir ! Comment me montrer devant lui ? Que peut-il dire ?

Que personne ne doit jeter la pierre aux autres ; que personne ne doit composer de longs discours pour confondre les gens, à moins de commencer par les débiter devant son miroir. Quoi, vous savez aussi

Et bien d’autres choses encore, répondit Jarno en souriant ; mais, cette fois, je ne vous laisserai pas échapper aussi facilement. Au reste, vous n’avez plus à craindre de trouver en moi un racoleur je ne suis plus soldat, et, même comme soldat, je n’aurais pas dû non plus vous inspirer ce soupçon. Depuis que je ne vous ai vu, les choses ont bien changé. Après la mort de mon prince, mon unique ami et bienfaiteur, je me suis retiré du monde et de toutes les affaires mondaines. J’encourageais volontiers ce qui était raisonnable si je trouvais quelque chose absurde, je ne m’en cachais pas, et l’on ne cessait de déclamer contre mon humeur inquiète et ma mauvaise langue. Le vulgaire ne redoute rien tant que la raison ; c’est la sottise qu’il devrait redouter, s’il comprenait ce qui est redoutable. Mais la raison est incommode, et il faut s’en débarrasser ; la sottise n’est que nuisible, et l’on peut la prendre en patience. A la bonne heure ! J’ai de quoi vivre, et je vous communiquerai mon plan. Vous y prendez part, si cela vous convient. Mais dites-moi vos aventures. Je le vois, je le sens, vous aussi, vous êtes changé. Qu’est devenue votre ancienne fantaisie de faire quelque chose de beau et de bon avec une troupe de bohémiens.