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DE WILHELM MEISTER. 413 3

me sont indispensables dans l’exploitation de mes domaines, et que je dois tenir avec rigueur à certains droits ; en revanche, je vois aussi que d’autres prérogatives me sont, il est vrai, avantageuses, mais non absolument nécessaires, en sorte que j’en puis abandonner quelque part à mes vassaux. Tout abandon n’est pas une perte. Ne fais--je pas valoir mes biens beaucoup mieux que mon père ? K’augmenterai-je .pas beaucoup encore mes revenus ? Et cette prospérité croissante, dois-je seul en jouir ? Celui qui travaille avec moi et pour moi, ne dois-je pas lui faire sa part des avantages que nous procurent le développement des lumières et les progrès du siècle ?

L’homme est fait comme cela, dit Jarno, et je ne saurais me blâmer, si je me surprends aussi dans les mêmes fantaisies. L’homme veut tout s’approprier, afin de pouvoir en disposer à son gré ; l’argent qu’il ne dépense pas lui-même lui semble rarement bien employé.

Fort bien, répliqua Lothaire ; nous pourrions nous passer d’une partie des capitaux, si nous savions user moins capricieusement des intérêts.

La seule chose que j’aie à vous rappeler, dit Jarno, et pour laquelle je ne puis vous conseiller de faire aujourd’hui même les changements qui vous coûteront du moins des pertes momentanées, c’est que vous avez encore des dettes qui vous pressent. Je vous conseillerais de différer vos plans jusqu’à ce qu’elles soient complétement acquittées.

Et pendant ce temps une balle, une tuile, viendront peutêtre anéantir pour jamais les résultats de ma vie et de mes travaux ! 0 mon ami, c’est le défaut principal des hommes civilisés de sacrifier tout à une idée, et de faire peu de chose ou rien pour la réalité. Pourquoi ai-je fait des dettes ? pourquoi me suis-je brouillé avec mon oncle ? pourquoi ai-je laissé si longtemps mes frères et mes sœurs sans appui, si ce n’est pour une idée ? Je croyais déployer mon activité en Amérique ; je croyais être utile et nécessaire au delà des mers si une action n’était pas environnée de mille dangers, elle ne me paraissait ni importante ni méritoire comme je vois aujourd’hui les choses autrement ! et comme ce qui me touche de plus près est devenu cher et précieux pour moi 1