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400 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

toujours par le convertir en objets de première nécessité. Jamais je ne la trouvais plus aimable que lorsqu’elle pillait mes armoires de linge et d’habits elle trouvait toujours quelque chose que je ne portais pas et dont je n’avais pas besoin ; tailler et coudre ces vieilleries, et les ajuster a quelque enfant déguenillé, était son plus grand bonheur.

Sa sœur montrait déjà des inclinations différentes. Elle tenai beaucoup de sa mère et promettait déjà. d’être gracieuse et charmante. Elle tiendra, je crois, sa promesse. Elle est fort occupée de son extérieur ; et, dès son plus jeune âge, elle a su se parer et se présenter de manière à frapper les yeux. Je nie souviendrai toujours du ravissement avec lequel, encore petite enfant, elle se regardait au miroir, un jour que, pour lui complaire, je lui mis le beau collier de perles qui me venait de ma mère, et que la petite trouva par hasard chez moi.

Quand j’observais les goûts divers de ces enfants, il m’était agréable de songer à la manière dont seraient partagés entre eux et mis en œuvre les objets que je pourrais leur laisser. Je voyais déjà les fusils de chasse de mon père courir de nouveau la campagne sur l’épaule de mon neveu, et mainte perdrix tomber de sa gibecière je voyais, à la fête de Pâques, toute ma garderobe, ajustée à de petites communiantes, défiler hors de l’église, et une modeste fille de bourgeois parée, le jour de ses noces, de mes meilleures étoffes car Nathalie eut toujours une inclination particulière pour équiper ainsi des enfants et d’honnêtes jeunes filles pauvres ; et cependant, je dois le dire, elle ne fait pas paraître cette espèce d’amour, et, si j’ose ainsi parler, ce besoin de s’attacher à un être visible ou invisible, qui s’était manifesté si vivement chez moi dans mon enfance. Si je venais ensuite à penser que, le même jour, la plus jeune porterait a la cour mes perles et mes bijoux, je voyais, avec tranquillité, mes biens, comme mon corps, rendus aux éléments.

Mes neveux et mes nièces ont grandi, et, à ma vive joie, ils sont bien portants, beaux et plein d’ardeur. Leur oncle les tient éloignés de moi, et je m’y résigne avec patience. Je les vois rarement, même lorsqu’ils sont dans le voisinage ou dans la ville. Un homme assez singulier, que l’on croit un ecclésiastique français, et dont l’origine n’est pas bien connue, a la surveillance de