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poids, la vaisselle riche ; en revanche les convives étaient rares, car chaque dîner devenait un festin, que, d’une part, la dépense et, de l’autre, l’embarras ne permettaient pas de répéter souvent. Son ménage allait d’un pas uniforme et tranquille, et tout le mouvement et le changement qu’il pouvait subir portait justement sur des choses qui ne donnaient de jouissances à personne.

Le vieux Werner menait une tout autre vie, dans une maison obscure et sombre. Avait-il achevé sa besogne dans son étroit comptoir, à son vieux pupitre, il lui fallait un bon souper et, s’il était possible, du vin meilleur encore. Il n’aimait pas non plus à se régaler seul ; avec sa famille, il voulait toujours voir à sa table ses amis et tous les étrangers en affaires avec sa maison ; ses chaises étaient vieilles, mais chaque jour il invitait quelqu’un à s’y asseoir ; la bonne chère fixait l’attention des convives, et nul ne remarquait que le repas était servi dans de la vaisselle commune ; sa cave ne renfermait pas beaucoup de vins, mais celui qu’on avait fini de boire était d’ordinaire remplacé par du meilleur.

Ainsi vivaient les deux pères, qui se voyaient souvent, conféraient sur leurs affaires communes, et, ce jour même, avaient résolu de faire entreprendre à Wilhelm un voyage de commerce.

«  Il apprendra à connaître le monde, dit le vieux Meister, et en même temps il fera nos affaires au dehors : on ne peut rendre un plus grand service à un jeune homme que de le consacrer de bonne heure à ce qui doit l’occuper toute sa vie. Votre fils est revenu si heureusement de sa tournée, il a si bien conduit ses affaires, que je suis très-curieux de voir comment le mien se comportera. Je crains qu’il ne paye son apprentissage plus cher que le vôtre. »

Le vieux Meister, qui avait une grande idée de son fils et de sa capacité, parlait ainsi dans l’espérance que son ami le contredirait, et relèverait les remarquables talents du jeune homme ; mais en cela il s’était trompé : Werner, qui, dans les choses pratiques, ne se fiait qu’à ceux qu’il avait éprouvés, répondit froidement :

«  Il faut essayer : nous pouvons l’envoyer par le même chemin ;