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DE WILHELM MEISTER. 389

quelquefois réfléchi que nous immolons souvent à un but plus élevé, comme on ferait à un Dieu, un objet de moindre valeur, bien qu’il nous soit cher ; comme l’on conduirait de bon cœur à l’autel un agneau chéri, pour obtenir la guérison d’un père. Que ce soit la raison ou le sentiment, répliqua-t-il, qui nous ordonne de quitter ou de choisir une chose pour une autre, la décision et la persévérance sont, à mon avis, ce qu’il y a de plus estimable chez l’homme. On ne saurait avoir ensemble la marchandise et l’argent, et il faut plaindre également celui qui a sans cesse envie de la marchandise, sans pouvoir se résoudre à se.dessaisir de l’argent, et celui qui regrette d’avoir acheté, quand la marchandise est dans ses mains. Mais je suis bien loin de blâmer les hommes pour cela ce n’est pas proprement leur faute, c’est celle des circonstances difficiles dans lesquelles ils se trouvent et ne savent pas se conduire. C’est ainsi, par exemple, que vous trouverez, en général, moins de prodigues à la campagne que dans les villes, et moins dans les petites villes que dans les grandes. Pourquoi cela ? L’homme est né pour une situation bornée ; sa vue peut saisir un but simple, voisin, déterminé, et il s’accoutume à se servir des moyens qu’il a sous la main ; mais, aussitôt qu’il entre dans une vaste carrière, il ne sait plus ni ce qu’il veut ni ce qu’il doit faire, et peu importe qu’il soit distrait par la multitude des objets ou transporté hors de lui-même par leur dignité et leur grandeur c’est toujours un malheur pour lui, lorsqu’il est tenté d’aspirer à quelque chose avec quoi il ne peut s’unir par une activité régulière et spontanée.

« En vérité, poursuivit-il, rien n’est possible dans le monde sans une ferme volonté, et, parmi les personnes que nous appelons éclairées, cette qualité est rare qu’elles se livrent au travail, aux affaires, aux arts, aux plaisirs même, c’est toujours comme à leur corps défendant ; on vit comme on lit un paquet de gazettes uniquement pour en avoir uni, et cela me rappelle ce jeune Anglais à Rome, qui disait un soir dans un cercle, avec une grande satisfaction qu’il s’était débarrassé ce jour-là de six églises et de deux galeries. Nous voulons savoir et connaître mille choses, et justement ce qui nous touche le moins, et nous ne remarquons pas que, pour apaiser la faim